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manifester au monde sa divine origine, a pu sortir victorieusement d’une épreuve fatale à tout ce qui n’est pas elle.

Plus d’une fois déjà un pape s’était vu opposer un antipape. C’était presque toujours la créature d’un empereur, et ceux qui le soutenaient n’agissaient que dans un intérêt politique. Mais un jour vint où deux papes, élus successivement par les mêmes électeurs, se trouvèrent en présence, chacun portant la tiare avec assez d’apparences de légitimité pour qu’il ait été impossible à l’Eglise elle-même d’effacer l’un d’eux de la liste des souverains pontifes, ni de renier les décisions de l’un ou de l’autre, auxquelles elle accorde encore aujourd’hui une égale autorité. La barque de Pierre s’était rompue en deux ; cependant, loin de sombrer comme on devait le croire, les épaves surnagèrent. Longtemps, sous des pilotes ennemis, ballottées par les tempêtes d’un des siècles les plus troublés de l’histoire, elles faillirent se briser mutuellement, jusqu’au jour où, grâce aux efforts communs des naufragés, elles finirent par être indissolublement réunies sous un seul chef.

Certes, pour aboutir à ce résultat, il avait fallu que le désir de réunion fût bien général ; mais nulle part il ne fut plus sincère que dans notre pays. En cela, les Français ont montré une abnégation toute contraire à l’esprit d’égoïsme national qu’on leur a si souvent reproché.

Ils auraient assurément trouvé de grands avantages à ce qu’Avignon restât le siège de la papauté. En admettant même que personne d’autre en Europe n’eût reconnu le pontife citramontain, nos rois auraient eu tout intérêt à le garder comme une sorte de patriarche d’une église nationale. Un Henri VIII n’y eût pas manqué, et certaines gens, paraît-il, n’y auraient pas vu d’inconvéniens. « Peu importe le nombre de papes, disaient-ils, et qu’il y en ait deux ou trois, voire même dix ou douze ! Chaque royaume peut bien avoir le sien. » Mais l’horreur même que manifestent les théologiens de la Sorbonne, en rapportant ces étranges propos, montre combien le sentiment de l’universalité de l’Eglise était enraciné dans la plupart des cœurs, et combien aussi les Français tenaient à conserver leur rôle de défenseurs du Saint-Siège. Au XIVe siècle, — l’auteur du livre dont cet article est inspiré, le rappelle fort à propos, — plus d’un auteur français se plaisait à constater que « dans les crises de l’Eglise, les rois de France avaient toujours choisi le bon parti, toujours soutenu et parfois restauré le pontife légitime. On oubliait les querelles d’un Robert, d’un Philippe Ier, d’un Philippe IV avec le Saint-Siège. La dynastie française, qu’on faisait remonter à Charlemagne et à Clovis, apparaissait comme une lignée miraculeuse préposée à la