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aux grands seigneurs de la Bourse. C’est comme un entraînement d’adulation ; ceux mêmes qui y résistent le font souvent par dépit, par jalousie, par rancune, par un sot amour-propre, plutôt que par vertu et par dignité vraie.

Le mal, ici, est plutôt social que politique. Les hommages intéressés, rendus de mauvaise grâce aux hommes d’argent, ne font pas le pouvoir des financiers ; ils en sont le signe et non la cause, ils le montrent aux yeux et ne le créent pas. Les salons, avec leur esprit étroit et routinier, le monde, avec ses orgueilleuses inconséquences et ses préjugés exclusifs, est peut-être encore ce qui se défend le moins mal contre l’idolâtrie de l’argent. Les républiques, en tout cas, les démocraties, où les rapports mondains ont peu d’influence dans l’État, n’ont sous ce rapport rien à reprocher aux monarchies les moins scrupuleuses. Pour surannée que soit l’étiquette des cours, c’est presque l’unique barrière qui ne s’abaisse pas, d’elle-même, devant les millions de la Bourse.


V

Que l’argent et les hommes d’argent aient leur part d’influence dans la chose publique, nous y contredirons d’autant moins que nous sommes de ceux qui n’en prennent pas volontiers leur parti. Il en sera ainsi, hélas ! tant que les avenues du pouvoir seront gardées par des hommes corrompus et des âmes basses, tant que la politique sera considérée comme un moyen de faire fortune, tant que se rencontreront ces trois choses : des gouvernemens prodigues, des députés besogneux et une presse vénale.

Car, nous ne nous lasserons pas de le répéter, s’il est des États où l’argent vient à dominer la politique et à gouverner la vie publique, la faute en incombe, avant tout, à ces politiciens et à ces journalistes qui vendent, également, leur parole et leur silence. Mais, pour grande que soit, dans nos démocraties, cette influence de l’argent, l’imagination hypocrite des pamphlétaires et l’envieuse crédulité des badauds l’ont démesurément grossie. On a voulu faire de la Bourse l’arbitre de la paix et de la guerre. On a enseigné aux foules à regarder l’argent comme le grand ressort de la politique moderne et le moteur secret de toute l’histoire contemporaine. Mais, en vérité, quand ce ne serait pas là calomnier notre temps, c’est là une vue enfantine qu’il faut laisser aux petits esprits qui n’aperçoivent de l’histoire que les petits côtés. Il y a eu, sous tous les régimes, « des chroniqueurs », des libellistes prompts à expliquer les destinées des empires par les mystères de l’alcôve et du coffre-fort. On nous représente la haute banque, les grandes maisons israélites, notamment, érigées en une