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leur rang, tandis que le malheur des temps et la lésinerie bourgeoise de l’État moderne ne leur fournissent pas de ressources au niveau de leur dignité et de leurs appétits. Comme de vulgaires fils de famille, ils font des dettes que, tout princes qu’ils sont, il leur faut solder ; ils tombent dans les grilles des usuriers, et ils ont le bon cœur de savoir gré à qui les aide à s’en tirer. Pauvres princes, victimes des temps nouveaux et des préjugés anciens ! ils n’ont même pas, comme d’autres, la ressource suprême de se refaire par un mariage avec quelque héritière juive ou yankee. La dureté des temps les contraint, souvent, au grand dommage du prestige monarchique, à frayer, amicalement, avec les rois de la Bourse, sans qu’ils sachent toujours si la main qu’ils daignent serrer est nette de l’argent d’autrui. A plus d’un, hélas ! l’amitié d’un banquier semble un bienfait des dieux,

Les financiers, de leur côté, avec leur appétit habituel de titres, de rubans, de distinctions mondaines, avec leur passion de se pousser dans les salons et de se faufiler dans les clubs, sont heureux de rendre de petits services à une Altesse ; c’est un placement pour leur vanité. Faire asseoir à sa table, ou montrer dans son fumoir, un prince héritier, voire un cadet de famille souveraine, le faire tirer dans son parc, ou le promener dans son mail, cela vous pose un homme et dédommage de bien des médisances. De là, l’étrange familiarité de certains parvenus de la Bourse avec les représentais des plus vieilles dynasties.

On dirait deux royautés, d’origine et de titres différens, qui se témoignent des égards réciproques, comme si les héritiers des majestés anciennes fondées par l’épée et par le sacre, ayant conscience de leur déclin, offraient de partager l’empire avec l’or, le souverain nouveau, qui menace d’usurper tous les droits. Mais non, cela, en vérité, ne serait pas juste. Jusqu’en ces accointances, parfois choquantes, l’or reçoit moins d’hommages qu’il n’en rend. Il n’a garde d’affecter la primauté ou l’égalité, et dans la plus éblouissante des fêtes où il semble triompher, il montre, lui-même, par son attitude vis-à-vis des pâles héritiers des gloires du passé, qu’il y a encore, dans notre société, des grandeurs d’opinion, des puissances de prestige que l’on a le préjugé de placer au-dessus de la richesse. N’importe, qu’on en pense ce qu’on voudra, les fréquentations des princes et des financiers peuvent être de mauvais exemple ; ce n’est pas qu’elles mettent l’Etat en péril ; elles ne tirent guère à conséquence pour la politique. Les petites Altesses, aujourd’hui, même en pays monarchique, ont d’habitude peu d’influence sur la politique. S’il y a un mal à de pareils rapprochemens, c’est que nombre de mondains et de mondaines de toute qualité s’autorisent des leçons d’en haut pour faire leur cour