Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le banquier berlinois n’était qu’un instrument de son roi, ou un agent docile de son gouvernement.

M. de Bismarck, tout bon chrétien qu’il fût, appréciait ce banquier juif ; il ne dédaignait même pas, à l’occasion, de lui témoigner de l’amitié. Bleichrœder en profitait pour défendre ses coreligionnaires, auprès du fondateur de l’unité allemande, contre le peu évangélique pasteur Stœcker, — et dans cette lutte d’influence, le Hofjude l’emporta sur le Hofpretdiger. On affirme que pour s’assurer les bonnes grâces du ministre contre le pasteur antisémite, le banquier Bleichrœder avait soin de verser, au plus chaud des batailles électorales, un fort lot de marks dans la caisse des amis du gouvernement. Le prince de Bismarck a-t-il vraiment utilisé, contre ses adversaires de l’opposition, la générosité intéressée de Bleichrœder, je ne sais ; en tout cas, l’Allemagne n’est pas le seul pays où le coffre-fort des banquiers ait été mis à contribution, par le pouvoir, pour ses campagnes électorales. De cette sorte d’intimité de Bismarck avec un banquier Israélite et de cet échange de services entre les deux amis, irons-nous conclure que le chancelier de fer était vendu à la haute banque, et que la politique impériale était au service de la finance juive ? Du ministre et du banquier, n’en déplaise aux antisémites de France et d’Allemagne, il est aisé de distinguer lequel était l’instrument ; pour sûr ce n’était pas Bismarck. Et, monarchie ou république, il en sera ainsi de tous les États où le pouvoir sera confié à des mains fortes et probes. Empire ou démocratie, pour que les rôles se renversent, il faut, au gouvernement, des mains faibles ou des consciences vénales.


IV

Cela ne veut pas dire que, en certains pays, les hommes d’État, les ministres, les princes du sang eux-mêmes ne subissent, parfois plus que de raison, l’ascendant prestigieux des grandes fortunes. Sur ce point, les Altesses royales ou impériales ressemblent, trop fréquemment, aux élus de nos démocraties ; elles ont parfois, pour les parvenus de la finance, des égards qu’il est permis de trouver excessifs. Est-ce, uniquement, que l’or nimbe aujourd’hui les fronts d’une auréole qui éblouit tous les yeux ? Non, cela ne serait pas nouveau ; ce qui l’est davantage, c’est que les vicissitudes des révolutions et les transformations économiques contraignent princes et souverains à compter, plus que par le passé, avec ce triste argent.

L’abaissement graduel des fortunes anciennes, la médiocrité