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Et, si l’on adresse un reproche à la représentation organique, ce n’est point d’être usée, c’est de ne pas être mûre.

Mais est-ce vrai ? et n’est-elle pas mûre ? Est-elle « impossible dans les conditions actuelles de la société » ? Ne peut-on « réussir à la traduire on formule pratique » ? Faut-il renoncer à la régler dans un esprit sinon d’absolue, au moins de suffisante justice ? L’heure enfin est-elle si lointaine, où les questions économiques ou sociales prédomineront sur toutes les autres, et où, par conséquent, il faudra mettre la représentation en harmonie avec le monde transformé ? De cette heure-là, sourd qui n’entendrait pas sonner déjà les premiers coups !

A présent, qu’il y ait quelque difficulté à assurer, en organisant le suffrage, « la représentation réelle du pays », qui le conteste ? Le vice à éviter, ce serait de constituer arbitrairement des groupes ; d’en négliger ou d’en omettre arbitrairement ; de rattacher arbitrairement les citoyens à celui-ci ou à celui-là ; de reconnaître arbitrairement à chacun de ces groupes une importance égale et de ramener ainsi à la représentation des groupes seuls, quand le but est la représentation des individus dans le groupe ; de dédaigner toute proportion et de supprimer radicalement le Nombre, alors que, si le Nombre ne doit pas être tout, il ne doit pas davantage n’être rien. Mais, de ce vice, ne se saurait-on garder, et la difficulté est-elle à jamais insoluble ?

On nous permettra de ne point le croire, et à ceux qui nous interrogent, qui demandent quels seraient les groupes ouverts et libres dont on ferait les cadres du suffrage universel organisé, comment ils subsisteraient et quelle valeur proportionnelle il leur serait attribué, de répondre à présent par des faits et des chiffres, que fournit la statistique officielle de la France. Car, pas une minute, nous n’avons oublié, en cette incursion à travers la théorie, l’histoire et les législations étrangères, que nous ne travaillions ni sur une abstraction, ni sur un cadavre, ni sur un corps autre peut-être que notre corps national ; qu’avant de rien adopter du dehors, il faudrait tout adapter à la France ; et que, si c’est l’Etat français de demain qui est à construire, il ne doit et ne peut sortir que de la France d’aujourd’hui.


CHARLES BENOIST.