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l’exemple d’un État communal ne peut-il pas être étendu à un État national ? D’un petit État à un grand y a-t-il ici plus qu’une question de mesure ? Les cadres de la représentation ne pourraient-ils pas être chez nous, — on ne dit pas identiques, — mais semblables ? et aussi bien nous ne proposerions pas de copier servilement, en France, ni Brême, ni l’Espagne, ni l’Autriche.

Que si, néanmoins, l’on s’obstine à croire qu’il faut, pour une pareille organisation, comme une prédisposition héréditaire ; que les nations contemporaines y sont impropres ou peu propres, à moins qu’elles ne se souviennent d’un de leurs états antérieurs et s’y sentent encore en secret attachées ; à moins qu’elles ne soient restées presque stationnaires ou ne soient entrées qu’à regret, et en résistant, dans les voies modernes ; si on le croit, si on le dit, nous répondrons par ce qui s’est passé en Belgique, pendant les débats sur la révision de la constitution, il n’y a guère plus de deux ans.


III. — FORMES NOUVELLES, OU PROJETS DE « REPRÉSENTATION ORGANIQUE »


La révision de la Constitution belge (1890-1893).

La Belgique est bien un État moderne, et c’est bien le problème de la construction de l’État moderne qui, récemment, s’est posé devant elle, sous les espèces de l’extension du droit de suffrage jusqu’au suffrage universel. De toutes les nations de l’Europe, c’est donc elle qui a fait la dernière expérience, et, par cela même qu’elle est venue la dernière, c’est donc elle qui l’a faite sur les données les plus complexes, dans la complexité toujours croissante de l’Etat moderne. Elle l’a abordée, cette expérience, non pas avec la béate ignorance et l’optimisme naïf de 1848, où il semblait qu’on projetât l’humanité dans la lumière, le bonheur, l’amour et le progrès infinis, mais avec le sentiment plus éclairé des maux qui accompagnent la toute-puissance de la foule : de la sotte crédulité, de l’inconstance puérile, de l’envieuse lâcheté, de la brutalité sauvage du Nombre ; elle est allée vers le suffrage universel, après le suffrage universel ; contrainte à le subir, elle le connaissait par nous, et elle s’est méfiée. Ses hommes politiques ont essayé de tous les remèdes, de tous les préservatifs, de tous les dérivatifs ; ils ont multiplié les précautions et prescrit à l’avance une rigoureuse antisepsie. Qu’ils se soient entendus sur la meilleure médecine, je ne sais et, à la vérité, je ne le pense pas ; mais ils ont vu le danger et ils ont voulu le combattre.

Eh bien ! dans cette poursuite de l’antidote aux maux inévitables de l’inévitable suffrage universel, il n’y a pas eu moins de