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visées qu’elle n’a point, et une toute-puissance qui n’est pas la sienne ? Quoi qu’en disent les catéchismes antisémites, les banquiers ne sont pas encore les maîtres souverains du monde ; si les débris d’Israël doivent être sauvés par l’or, le jour de la rédemption de Juda n’a pas encore lui. « En engageant une guerre financière contre la Russie, disait à un de ses coreligionnaires un des grands banquiers de l’Occident, nous n’améliorerons pas la situation des juifs de là-bas, — et nous perdrons le bénéfice des emprunts russes. » Cet homme au sens pratique eût pu ajouter que, au lieu de servir la cause des juifs de Russie, une intervention de la haute banque en leur faveur eût risqué d’exaspérer contre eux le gouvernement de Pétersbourg et d’aggraver les rigueurs des lois impériales.

Quoi qu’il en soit, les emprunts russes ont donné au monde une leçon de choses, que nos folliculaires quotidiens feraient bien de retenir. Qu’on prenne les prospectus des dernières émissions russes, on trouvera qu’à Londres, à Berlin, à Amsterdam, tout comme à Paris, les grands emprunts du tsar antisémite ont été offerts au public sous le patronage des maisons juives. Les faits, ici, parlent assez d’eux-mêmes, et les pierres de la Bourse crient assez haut. Après cela, il est malaisé de nous faire croire à l’asservissement des gouvernemens par la haute banque, ou au règne cosmopolite d’Israël par l’empire de la Bourse.


III

Autre remarque non moins instructive. La place de Paris et la place de Berlin, qui passent, toutes deux, pour être inféodées aux grandes maisons israélites, ont souvent eu, vis-à-vis de la Russie, une attitude toute différente. Tandis que Paris favorisait les émissions russes, Berlin qui, la veille encore, avait le monopole des emprunts de la Russie, déclarait la guerre au rouble et au papier russe. Berlin ne cessait de vendre, pendant que Paris ne se lassait pas d’acheter. Or, d’où venait le signal de ces campagnes berlinoises contre le crédit de l’empire slave ? Il ne venait pas de la banque israélite ; il venait du gouvernement prussien et de la presse officieuse. L’initiative en a été prise, plus d’une fois, par M. de Bismarck en personne ; c’est le Chancelier de Fer et non la haute banque juive qui a tenté de prendre la Russie par la Bourse, en jetant toutes ses valeurs sur le marché et en lui fermant les places de l’Occident. Si, depuis la chute de Bismarck, sous l’empereur Guillaume II, Berlin a changé de tactique vis-à-vis de ses voisins de l’Est, le signal en a encore été donné par le