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dernières années, sans heureusement les ensanglanter beaucoup. Samoa, moins important qu’Hawaï, avec ses 35 000 habitans, presque tous indigènes, est sous un triple protectorat anglais, allemand et américain ; mais le gouvernement des Etats-Unis se désintéresse de plus en plus de ces terres lointaines. Après les avoir quittées, nous apercevons encore dans le lointain les îles Tonga, ou des Amis, le dernier archipel indépendant de l’Océanie. Une fois le cent-quatre-vingtième méridien franchi, nous sommes dans les parages où domine exclusivement la Grande-Bretagne.

En arrivant à Auckland, après plusieurs mois passés en Amérique, j’éprouvai l’impression d’être revenu en Europe, et de débarquer dans un port anglais. Dans cette ville, située presque exactement aux antipodes de Séville, le caractère exclusivement britannique de la population saute aux yeux, non seulement par les types des passans rencontrés dans les rues, mais par l’aspect général de la ville et des environs. Plus de ces immenses maisons à dix, quinze, dix-huit étages, comme on en voit même dans les villes secondaires d’Amérique ; plus de tramways électriques sillonnant toutes les voies importantes, mais des rues calmes quoique assez animées, et bien tenues ; dans les environs, sur les pentes de la colline volcanique du mont Eden, ou sur les rives rocheuses de la baie, les cottages en bois des habitans, avec leurs petits jardins, plantés d’arbres verts et cachés aux regards indiscrets des passans par des haies aux feuilles persistantes, ou de simples clôtures en bois. La position de la ville est excellente, à la racine de la longue et étroite péninsule que l’île septentrionale de la Nouvelle-Zélande projette vers le nord, sur une grande baie profonde, abritée par des îles et des promontoires des tempêtes du large, et à trois kilomètres seulement d’un autre port, sur la côte opposée de la péninsule, dont l’entrée est malheureusement obstruée par une barre de sable ; les Anglais ont, certes, bien choisi le lieu de leur premier établissement en Nouvelle-Zélande.

En même temps que le type anglais des choses et des gens, d’autres caractères me frappaient que je devais retrouver dans toute l’Australasie : ainsi, l’insignifiance de l’élément indigène, dont on ne rencontre presque aucun représentant à Auckland. Les colonies australiennes devraient à cette circonstance le bonheur d’ignorer les querelles de race, si la présence de Chinois, qu’on rencontre en grand nombre dans les bas quartiers, ne révélait l’existence, non pas encore d’un péril, mais du moins d’une question jaune qui se pose partout sur les côtes du Pacifique. L’un des