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I

La route d’Amérique est aujourd’hui la plus courte pour se rendre en Nouvelle-Zélande ; même pour atteindre les provinces orientales, les plus importantes de l’Australie, elle peut encore rivaliser avec celle du canal de Suez. Il n’en faut pas moins trente-deux jours au minimum pour qu’un voyageur ou une lettre partis d’Angleterre atteignent Auckland, la ville la plus importante, bien qu’elle ne soit plus la capitale de la Nouvelle-Zélande. J’avais suivi cette voie, mais non avec cette rapidité, et après un séjour de quatre mois en Amérique m’étais embarqué pour la traversée du Pacifique qui dure dix-neuf jours, et dont la monotonie est heureusement interrompue par deux charmantes escales aux îles Hawaï et Samoa. Je suis le seul Français à bord ; parmi mes compagnons, se trouve pourtant un Californien, fils de Français, naturalisé Américain, qui, bien que n’ayant jamais été visiter la France, en parle encore quelque peu la langue ; tous les autres passagers sont Américains ou Anglais, des îles Britanniques ou d’Australie. Presque tous les Américains nous quittent à Honolulu, la capitale d’Hawaï, où nous arrivons après huit jours de mer. C’est une charmante petite ville qui n’a guère que trois ou quatre rues à l’européenne près du port, et qui disparaît presque tout entière au milieu des cocotiers, des palmiers de toute espèce, des jardins remplis d’arbustes, d’arbres même couverts de fleurs éclatantes. En s’élevant un peu sur les collines, à l’arrière de la ville, la vue est splendide sur la ceinture verte de palmeraies, entrecoupées de rizières et de plantations de cannes à sucre ou de bananiers, qui couvre la plage et s’avance jusqu’au bord même de la mer. Les collines de l’intérieur sont couvertes de broussailles où paissent quelques troupeaux qui, comme les plantations et les plus belles maisons de la ville, appartiennent aux Américains, depuis longtemps maîtres de l’archipel au point de vue économique. Depuis deux ans ils se sont aussi emparés du pouvoir politique, ont déposé et emprisonné la pauvre reine Liliuokalaui et organisé la République hawaïenne. Ils avaient pourtant toute l’influence qu’ils pouvaient désirer sous la monarchie indigène, dont la Constitution avait institué deux chambres pour lesquelles les étrangers avaient le droit de vote ! Mais les planteurs de cannes voulaient profiter des avantages que le gouvernement américain fait aux producteurs de sucre nationaux et espéraient lui forcer la main et l’obligera annexer l’archipel : depuis deux ans, la République d’Hawaï joue le rôle, passablement ridicule, d’un pays qui