Flandres étaient devenues françaises. On comprend donc que la rédaction du contrat de la princesse Adélaïde ne laissât pas de préoccuper les jurisconsultes savoyards auxquels Victor-Amédée avait remis le soin de le préparer, et cela d’autant plus qu’une question analogue à celle qui avait amené la guerre de 1667 pouvait parfaitement se présenter.
Victor-Amédée n’avait que des filles. Sa santé (quoiqu’il ait vécu fort âgé) passait pour chancelante. Qu’adviendrait-il s’il mourait sans laisser de fils, et à qui reviendrait sa succession ? Bien qu’un usage constant assurât la souveraineté aux mâles de la maison de Savoie, à l’exclusion des femmes, et que, suivant le vieil adage féodal, « la couronne n’y pût tomber de lance en quenouille », cependant la question n’avait pas laissé de se poser quelquefois, d’une manière assez menaçante pour l’indépendance de la Savoie, en particulier lorsque Adélaïde, femme de Louis le Gros, roi de France, avait, en 1103, réclamé l’héritage de son père Humbert II, au détriment de son frère cadet. Pour remonter quelque peu loin, l’affaire n’était pas oubliée, du moins par les jurisconsultes. De plus, le prince de Carignan, qui représentait la ligne masculine de la maison de Savoie, était sourd-muet. Bien qu’il fût fort intelligent, et que, devançant les dernières méthodes appliquées à l’instruction des malheureux déshérités comme lui, il sût fort bien comprendre la parole au mouvement des lèvres (Saint-Simon l’appelle, à cause de cela, ce fameux sourd-muet), cependant son habilité à succéder pouvait parfaitement être contestée. Il n’avait pour héritier qu’un enfant en bas âge, issu de son mariage avec une princesse de la maison d’Esté, mariage auquel Louis XIV s’était opposé autrefois de la façon la plus vive, au point d’exiger que le nouveau couple fût banni de Turin. Il n’était donc rien moins qu’assuré que, Victor-Amédée venant à manquer, Louis XIV laisserait sans opposition le duché de Savoie arriver aux mains de ce prince détesté. Ces questions préoccupaient fort les conseillers de Victor-Amédée, qui ne se souciaient point de voir leur petite patrie absorbée un jour par sa puissante voisine, et Victor-Amédée lui-même. Dans le traité secret passé entre Tessé et Groppel, la difficulté avait bien été prévue, et l’article 3 de cette convention portait que la princesse ferait les renonciations accoutumées, avec promesse de ne rien prétendre au-delà de sa dot sur les États et succession de son père. Mais quelle forme convenait-il de donner à ces renonciations pour que la validité n’en pût un jour être contestée ? Victor-Amédée aurait voulu que les renonciations, au lieu de prendre place dans le contrat, fussent insérées dans le traité public qui allait bientôt