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présentement à Turin que celle de France était plus sortable » ; et comme M. de Mansfeld insistait, s’engageant en outre, au nom de l’Empereur, à faire, de gré ou de force, rendre Pignerol par la France, Victor-Amédée finissait par répondre tout net « que le dégoût que sur cella sa Majesté Impériale avoit donné à la maison de Savoye étoit encore trop récent pour qu’il pût estre effacé du blanc au noir et dans un instant[1]. »

Le prince d’Orange n’obtenait pas un meilleur succès en ayant recours à la menace. Vainement il écrivait à l’Empereur, au roi d’Espagne, et à tous les princes de la Ligue les lettres les plus pressantes pour les exciter à soutenir la guerre. Vainement, dans une lettre fort vive qu’il adressait personnellement au duc de Savoie, et que celui-ci s’empressait de communiquer à Tessé, il le conjurait de « faire des réflexions solides, sur le peu d’honneur et de gloire, à la veue de toute la chrétienté actuellement tournée contre l’ennemy commun, qu’il acquérera par une paix particulière ; que rien ne peut estre pour luy glorieux, stable, ou solide que ce qu’il acquérera par la paix générale.[2]. » Vainement une lettre de la propre main du duc de Portland, son favori, communiquée également à Tessé par Saint-Thomas, « portoit l’expression de la surprise où il estoit de voir Son Altesse résolue de suivre aveuglément un party si contraire à son honneur et a ses intérêts… repettant que la Ligue prendra des mesures pour faire repentir son maistre du pas dangereux dans lequel il s’engage, et qu’à quelque prix que ce soit la ditte Ligue soutiendra la guerre en Italie. » Ces objurgations et ces menaces demeuraient sans effet. Victor-Amédée faisait montre d’une loyauté dont, jusqu’à présent, il n’avait guère donné la preuve et, de leur côté, les alliés, las d’une guerre dont ils n’avaient pas tiré grand avantage, découragés par la défection de Victor-Amédée, et indifférens aux passions personnelles de Guillaume d’Orange, inclinaient peu à peu à traiter. Déjà ils avaient retiré leurs troupes du Piémont et Tessé rendait compte au Roi de leur départ[3] :

« Enfin, Sire, il n’y a si bonne compagnie qui ne se sépare. Les troupes impériales, espagnoles, religionnaires et auxiliaires se séparèrent hier de celles de M. de Savoye. Ce fut, de part et d’autre, avec d’aussi froides cérémonies qu’on puisse se les imaginer… Ils tirent difficulté de rendre quelques pièces de canon de M. de Savoye dont ils supposoient avoir besoin ; mais le ton

  1. Aff. étrang. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 7-14 août 1696.
  2. Ibid. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 11 août 1696.
  3. Ibid. Corresp. Turin, vol. 97. Tessé au Roi, 5 août 1696.