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aussi raisonnables, dissiperont toutes les inquiétudes de M. Krüger. Quant à nous, nous comprenons de plus en plus que ce dernier se soit arrangé pour n’avoir pas à faire en ce moment le voyage de Londres. Puisque la place de M. Cecil Rhodes est dans l’Afrique du Sud, celle de M. Krüger ne saurait être ailleurs.


De Londres, nous passons à Rome, sans sortir de l’Afrique : la politique africaine absorbe aujourd’hui toute l’Europe. Ici, nous sommes heureux d’avoir à rendre justice à la parfaite loyauté du gouvernement italien. M. di Rudini et son ministre des affaires étrangères, M. le duc di Sermoneta, savent ce qu’ils veulent et ils n’hésitent pas à le dire. Ils mettent très correctement, très courageusement leurs actes en harmonie avec leurs paroles. Les attaques passionnées de la presse de M. Crispi ne les ont ni troublés, ni ébranlés dans leurs résolutions premières. C’est déjà un très grand mérite : ils en ont eu un plus grand encore, qui a consisté à ne pas modifier leur attitude après l’échec des premières tentatives de conciliation auprès de Menelik. L’avenir dira si le négus a bien ou mal fait de ne pas accepter les ouvertures qui lui étaient faites : il y a répondu en émettant des prétentions qui ont été jugées inadmissibles, et qui devaient l’être puisque le nouveau ministère italien ne les a pas admises. Personne ne peut douter aujourd’hui de la sincérité avec laquelle celui-ci désire et poursuit la paix. Il persiste dans ce désir, même lorsque l’ennemi ne paraît pas le partager, et au moment de prendre ses quartiers d’été, — où la guerre se trouve nécessairement suspendue en Afrique, comme elle l’était autrefois lorsque les armées de la vieille Europe prenaient leurs quartiers d’hiver, — il abandonne spontanément ce qu’il n’a pas l’intention de garder, et se cantonne, pour s’y fortifier, dans les territoires où il est résolu à se maintenir. Son programme peut se résumer en peu de mots : l’Erythrée aux Italiens, le Tigré aux Abyssins. Il l’exécutera d’accord avec le négus si le négus veut s’y prêter, et seulement d’accord avec lui-même et avec le parlement italien s’il rencontre ailleurs des hésitations ou des difficultés. Ce n’est pas à dire qu’il suspende son action militaire en Afrique. La fin de la campagne a très heureusement réparé la plupart des fautes qui avaient été commises quelques mois auparavant. Il ne pouvait y avoir que des succès partiels, mais ils ont été brillans. S’ils s’étaient produits du temps de M. Crispi, celui-ci n’aurait pas manqué de partir de là pour se jeter dans des entreprises nouvelles et démesurées : il n’en a pas été de même avec le ministère actuel. [L’Italie était inquiète, émue du sort d’Adigrat, non pas à cause de la place elle-même, mais à cause de la garnison qui l’occupait et la défendait avec héroïsme, mais qui fatalement devait succomber au bout de quelques semaines. Le général Baldissera a organisé une expédition sur Adigrat ; il a dégagé la