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perdent dans la masse. Qu’est-ce à dire, sinon que l’immense effort fait par les radicaux et les socialistes, la fureur de propagande à laquelle ils se sont livrés, l’appui que pendant six mois ils ont trouvé auprès du gouvernement, tout cela a été inutile et n’a abouti exactement à rien. Le fond solide du pays n’a pas été entamé. Et c’est là une constatation rassurante : il s’en faut encore de beaucoup que les radicaux et les socialistes soient les maîtres du pays. Il suffit aujourd’hui, pour remettre toutes choses en état, d’un gouvernement qui s’inspire du bon sens général, et fasse œuvre de pacification et de réparation. M. Méline a déclaré qu’il voulait être ce gouvernement : c’est pour cela que la Chambre lui a donné une majorité qui, nous n’en doutons pas, se trouvera sensiblement augmentée à la reprise des travaux du parlement.


L’importance exceptionnelle de nos affaires intérieures nous a un peu détourné, depuis quelque temps, des affaires extérieures : nous sommes obligé aujourd’hui encore d’en parler en termes rapides. ! Il faut pourtant dire quelques mots des événemens qui se sont déroulés en Afrique, soit au sud, soit à l’est, c’est à dire au Transvaal et en Erythrée, et des contre-coups qu’ils ont eus en Europe.


L’ébranlement produit par la folle équipée du docteur Jameson n’est pas encore près de prendre fin. À mesure que le temps s’écoule, la situation semble même, au moins au point de vue moral, s’aggraver davantage. Que s’est-il passé dans la courte entrevue que M. Cecil Rhodes a eue à Londres avec M. Chamberlain ? M. Cecil Rhodes a-t-il dit toute la vérité, et même la lui a-t-on demandée sur les événemens qui se sont déroulés depuis quelques mois, dans le sud africain ? A-t-il avoué à M. Chamberlain, ce qui est aujourd’hui hors de doute, à savoir qu’il a été le principal inspirateur et instigateur de l’entreprise si imprudemment conduite par le docteur Jameson ? En tout cas, rien dans la conduite de M. Chamberlain ne permet de croire qu’il ait su toute la vérité, puisque, au cours de la dernière discussion qui vient d’avoir lieu à la Chambre des communes il s’est exprimé comme il suit : « Les dépêches chiffrées publiées par le président Krüger attestent la complicité des directeurs africains de la Compagnie à Charte, mais elles ne prouvent pas que M. Rhodes ait approuvé, au moment où elle s’est produite, l’invasion de Jameson. » Nous laissons au lecteur le soin d’apprécier ce que vaudrait cette excuse, même si elle était fondée. Après avoir tout autorisé, tout encouragé, tout préparé, il importerait assez peu que M. Cecil Rhodes n’eût pas, au dernier moment, donné le signal définitif ; mais la vérité est qu’il l’a donné. Au moment même où M. Chamberlain se livrait à de très inutiles réticences, les journaux publiaient les extraits d’un