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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 mai.


Notre situation intérieure s’est très heureusement éclaircie depuis quinze jours. Nous annoncions dans notre dernière chronique la constitution, à peu près achevée déjà, du ministère Méline ; mais ce ministère n’avait pas encore comparu devant la Chambre, et les radicaux et les socialistes mettaient une fière assurance à prédire que, dès sa première rencontre avec le parlement, il serait renversé. Sa chute, à les entendre, était une question d’heures. Il n’y avait pas à se préoccuper beaucoup de ces sombres pronostics, car ils se produisent généralement à la naissance de tout nouveau ministère, et ils ne se réalisent pour ainsi dire jamais. La Chambre a l’habitude d’ouvrir un crédit plus ou moins long à chacun des cabinets qui se succèdent devant elle ; tantôt il se compose de mois et tantôt seulement de semaines ; mais il se prolonge toujours quelque temps. C’est ce qui est arrivé pour le ministère radical présidé par M. Bourgeois. On n’a pas oublié qu’un des membres les plus modérés de la Chambre a manifesté tout haut l’intention de le laisser et même de le faire vivre, afin de lui assurer le loisir de bien montrer ce dont il était capable, faculté dont M. Bourgeois et ses collaborateurs ont usé pendant les quatre premiers mois de leur existence au milieu d’une admirable tranquillité. Si tous les ministères ne sont pas aussi heureux, presque tous profitent de cette espèce de trêve par laquelle on accueille leurs débuts. Il est vrai que le ministère actuel est venu au monde dans des circonstances particulières. Son prédécesseur n’a pas été renversé par la Chambre, mais par le Sénat. Nous nous garderons bien de reprendre la discussion qui s’est élevée à ce sujet, et qui a mis en cause les droits respectifs des deux assemblées ; on n’est pas parvenu à y intéresser le pays ; mais les radicaux espéraient qu’ils y intéresseraient suffisamment l’amour-propre de la Chambre des députés pour provoquer dans son sein un mouvement de mauvaise humeur et même de colère dont le cabinet Méline deviendrait l’innocente victime. Cela serait peut-être arrivé s’il y avait eu, au Palais-Bourbon, le moindre regret du cabinet déchu. Les radicaux croyaient que le ministère Bourgeois jouissait sincèrement de la faveur de la Chambre, parce qu’il avait jusqu’au bout recueilli ses votes. Erreur profonde ! La Chambre,