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parfois même un peu plus d’église que de carrefour ; c’est un dessin d’orchestre, un trait, une gamme, quelques mesures symphoniques accompagnant la fuite effarée d’un passant. Les lumières, ou plutôt les lueurs seulement, c’est un scherzo à trois voix dans le goût harmonique et rythmique du quintette de Carmen ; puis une excellente chanson de soldat ; enfin, se détachant sur le fond obscur par la tonalité, le mouvement, et le timbre clair des flûtes, c’est le motif allègre de l’Altesse en bonne fortune. Décidément, le musicien de la Basoche et de Madame Chrysanthème a montré parfois plus de sensibilité ; je doute qu’il ait jamais plus qu’ici fait preuve de vivacité, d’élégance et d’exactitude. Tout cela est spirituel, tout cela est précis, tout cela est charmant.

Mais tout cela, dit-on, est peu de chose, tout cela n’est pas une œuvre. Hélas ! je ne crois pas l’heure prochaine où une œuvre nous sera donnée. Je ne vois même pas en ce moment de quel côté, de quel point de l’horizon elle pourrait venir. « Et quel temps fut jamais moins fertile en miracles ? » Nous traversons des années de disette, et les vaches maigres se succèdent mélancoliquement. Musiciens, public, tout le monde est incertain, tout le monde est las. Il faudrait peut-être décréter une trêve et que tout le monde se reposât un peu. Pendant quelque temps on ne jouerait rien de nouveau et l’on reprendrait seulement les chefs-d’œuvre. Qu’en pensez-vous ?


CAMILLE BELLAIGUE.