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Peut se glisser partout,
Ce soir la mascarade
Peut encore vous servir,
Voilà votre ambassade,
Et courez obéir.


Je cite longuement, non pour la beauté des vers, mais pour préciser le mérite de la musique en cette page. C’est du mouvement, cela, et de l’action, encore une fois, c’est de l’intrigue ; c’est même un complot, — sujet ingrat par excellence, — tout comme au premier acte du Chevalier d’Harmental. Mais il est mené d’un autre train. Et voilà, quand il le faut, comment une phrase, une période, une voix, un orchestre, doivent et savent courir. Voilà un modèle achevé du style de la comédie musicale.

Il a semblé que la veine mélodique même fût moins abondante et moins claire dans le Chevalier d’Harmental qu’elle ne l’était dans Madame Chrysanthème et dans la Basoche. Au premier acte, l’air de Balhilde : Je suis la reine de la Nuit, rappelle vaguement certaine cantilène de la petite mousmé, sans en avoir le pur contour, la couleur pittoresque, ni les transparentes sonorités. Rien non plus d’égal, pour la sensibilité, la grâce émue et furtive, à quelques scènes du premier acte de la Basoche ; pour la verve un peu lâchée, mais entraînante, rien enfin de comparable à certaine valse éperdue que, dans la Basoche toujours, le cordial M. Fugère chantait. Partout en somme des teintes un peu grises et neutres, une pâleur générale ; bon style, bonne facture, de la correction, voire de l’élégance, sans assez de relief et de vie.

Mais un acte se détache des autres et mérite d’être retenu. On y retrouve l’invention facile et sans banalité, l’agrément à la fois très léger et très vif des meilleures pages de M. Messager. Le livret ayant laissé quelque répit au musicien, celui-ci s’est accordé une halte charmante, et d’une comédie presque toujours en mouvement, la scène la mieux venue est une scène en quelque sorte immobile. Rien ne s’y passe, ou presque rien.

C’est la nuit, une nuit de lune, et dans la rue des Bons-Enfans, sous les fenêtres du Palais-Royal, les conjurés attendent le Régent. Vêtu en simple garde-française, avec deux joyeux compagnons, Philippe sort du palais et monte souper chez une belle voisine. Et vous savez comment il rentra chez lui cette nuit-là : par les gouttières à la barbe des guetteurs obstinés et deux fois déconfits. De cette faction prolongée et vaine, de ce coin de Paris nocturne, le musicien a fait un très pittoresque tableau. Il en a marqué par des thèmes, des rythmes, des harmonies, des timbres tous caractéristiques et tous efficaces, les lumières et les ombres. Les ombres, c’est un petit chœur à l’unisson et plein de mystère ; ce sont des sonorités étouffées et qui semblent