Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/460

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

A cet épisode des amours de Dario et de Benedetta M. Zola est redevable de quelques-unes des plus heureuses trouvailles de son livre. Je cite textuellement. Il est de ces perles, brillant d’un pur éclat, et qu’on se doit d’isoler. L’abbé Pierre rencontre pour la première fois Benedetta qui l’accueille de quelques paroles aimables. « Pierre s’excusa, remercia : « Madame, je suis confus, j’aurais voulu dès ce matin vous dire combien j’étais touché de votre bonté trop grande. Il avait hésite à rappeler « Madame » en se rappelant le motif allégué dans son instance en nullité de mariage. » Il a hésité, le malheureux ! Un autre mot lui venait aux lèvres. Il ne l’a pas lâché. C’est du savoir-vivre… Au surplus il se pourrait que la jeune femme n’eût pas été autrement choquée de cette étourderie trop renseignée. Un peu plus tard elle nous conte qu’elle s’est décidée à subir la visite de deux médecins, que ces médecins ont rédigé un certificat en latin, et que cela la chiffonne de ne pouvoir entendre ce latin technique. Donc elle a songé au jeune prêtre pour lui en demander l’explication. « Ah ! ce latin ! monsieur l’abbé ! J’aurais bien désiré savoir, tout de même, et j’ai songé à vous pour que vous ayez l’obligeance de me le traduire… » Est-ce une aimable espièglerie ? Je pense que M. Zola a voulu plutôt nous faire admirer une conscience droite, uniquement désireuse de s’instruire, et qui ne voit pas de mal à ce qui est dans la nature. Cela nous renseigne sur la qualité des âmes avec lesquelles on nous fait vivre. Cela nous éclaire sur l’espèce de leurs sentimens. On a reproché à M. Zola de tomber dans la sensualité. C’est bien à tort. Il s’arrête à l’incongruité.

Il y avait dans Rome une grande scène à faire et vers laquelle toute l’œuvre s’acheminait comme à son couronnement : c’était l’entrevue avec le pape. Déjà à plusieurs reprises, et pour nous préparer, on nous avait laissé entrevoir la figure de Léon XIII, comme on voit dans la Débâcle passer et repasser la silhouette de Napoléon III. L’abbé Pierre l’a déjà aperçu derrière une fenêtre du Vatican : et il l’a rencontré trois fois. « Il l’avait vu par un beau soir, dans les délices des jardins, souriant et familier, écoutant les commérages d’un prélat favori, tandis qu’il s’avançait de son petit pas de vieillard, un sautillement d’oiseau blessé. Il l’avait vu dans la salle des Béatifications, en pape bien-aimé et attendri, les joues rosées de contentement, pendant que les femmes lui offraient des bourses, des calottes blanches pleines d’or, arrachaient leurs bijoux pour les jeter à ses pieds, se seraient arraché le cœur pour le jeter de même. Il l’avait vu à Saint-Pierre, porté sur le pavois, pontifiant, dans toute sa gloire de Dieu visible que la chrétienté adorait, telle qu’une idole enfermée en sa gaine d’or et de pierreries, la face figée, d’une immobilité hiératique et souveraine. » Entre temps il s’est enquis de détails sur sa personne, sur l’emploi de ses