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de beaucoup d’autres, il semble qu’il n’eût pas suffi d’un historien doublé d’un archéologue, mais qu’il fallût encore un politique, un économiste, un philosophe. L’idée d’un pareil sujet ne pouvait germer que dans un cerveau unique pour la variété de l’érudition, la souplesse des facultés, et la puissance de synthèse, ou peut-être dans une imagination tout à fait étrangère à nos méthodes d’infinie division du travail. Ce qu’on peut affirmer, c’est qu’un homme, d’esprit simplement cultivé, ne l’aurait jamais conçu. Un lettré n’aurait pas même songé à écrire ce livre.

J’ajoute que l’immensité du sujet n’était pas la seule difficulté à laquelle dût se heurter le romancier. Les mérites dont il y fallait faire preuve sont en parfaite opposition avec ce que nous savons de la complexion intellectuelle de M. Zola, de ses habitudes de travail et des qualités d’esprit que nous ne faisons nullement difficulté de lui reconnaître. Car il se peut bien qu’il suffise d’une huitaine de jours pour visiter Lourdes et ses environs, et qu’on atteigne en six semaines jusqu’à l’âme même de Plassans ; il faut un peu plus de temps pour nouer avec Rome une connaissance intime. C’est ici une terre d’histoire, où les siècles, en se succédant, ont mis lentement leur empreinte : c’est de même lentement qu’on se sent gagné par le charme qui s’en dégage, enveloppé par l’atmosphère très spéciale. Mais M. Zola n’est guère de nature à se prêter à cette sorte de lent envahissement : il préfère les enquêtes rapides, en homme pressé. L’Italie est la contrée chère aux artistes, aux dévots de la forme, aux amans de la Beauté. M. Zola est surtout attiré par le spectacle de la laideur ; ses livres prouvent surabondamment qu’il est insensible aux questions de mesure, de proportion, d’harmonie, et enfin à tout ce qui est dépure forme ; au surplus, il est clair que l’auteur de l’Œuvre peut avoir d’autres mérites, il est dénué du sentiment des choses de l’art. On s’est accordé de tout temps à admirer la diplomatie du Vatican pour sa complication savante et sa subtilité. M. Zola ne se pique pas de subtilité. Il aime les simples de cœur. Et les natures les plus simples sont aussi bien celles qu’il a su le mieux représenter, celles des Gervaise ou des Lantier ou de cet oncle Macquart qui, pour s’être trop imbibé d’alcool, prit feu par l’intérieur et fut réduit en un petit las de cendres. La papauté est le grand pouvoir idéal agissant sur les âmes. Or M. Zola a bien vu d’autres choses ; mais ce qui se passe dans les âmes lui a toujours échappé, et le domaine de la psychologie lui est resté constamment fermé. Dans un livre sur Rome il était impossible de ne pas faire une grande place à l’idée religieuse. Or M. Zola a toujours pris nettement parti pour la science contre la religion ; il l’a fait comme il fait toutes choses, très franchement, avec un zèle bruyant et compromettant. Sa morale, telle qu’il l’a maintes fois exposée et telle qu’on la retrouve dans Rome, est