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faisait vivre et savait à quels désordres aboutissaient les complaisances arrachées à ses faiblesses. Il trouvait dans ces pensées mêmes son châtiment et l’aggravation de plus en plus lourde de son ennui. Pour désennuyer le Roi et distraire ses propres alarmes, Mme du Barry songeait à Marie-Antoinette.

La Dauphine consentirait-elle à être des petits voyages aux maisons de campagne, à ces parties d’un jour ou deux, qui remplissaient la vie du Roi et que les saillies d’une compagnie légère mais monotone ne suffisaient plus à égayer ? Les deux femmes auxquelles il paraissait tenir le plus pourraient-elles s’entendre un jour pour arracher à ses humeurs noires un prince qu’elles aimaient, en somme, toutes les deux ? Ces idées se présentent ainsi à l’esprit de la favorite, qui, dans sa bonne volonté et ses inquiétudes, habituée d’ailleurs au familier laisser aller du Roi, perd tout sentiment des distances et des rangs. Elle profite d’un temps de calme où la Dauphine s’abstient de propos mortifians pour tenter auprès d’elle l’effet d’une prévenance que ses habitudes personnelles lui font juger irrésistible : « Un joaillier de Paris, raconte Mercy à Marie-Thérèse, possède des pendans d’oreille formés de quatre brillans d’une grosseur et d’une beauté extraordinaires ; ils sont estimés sept cent mille livres. La comtesse du Barry, sachant que Madame la Dauphine aime les pierreries, persuada le comte de Noailles de lui faire voir les diamans en question et d’ajouter que si Son Altesse Royale les trouvait à son gré et voulait les garder, elle ne devait point être embarrassée ni du prix ni du payement, parce que l’on trouverait moyen de lui on faire faire un cadeau par le Roi. Madame l’Archiduchesse répondit simplement qu’elle avait assez de diamans et qu’elle ne se proposait point d’en augmenter le nombre. Quoique cette démarche soit à bien des égards déplacée, peu convenable et maladroite de la part de la favorite, il n’en résulte pas moins « une preuve de son grand désir de s’insinuer dans les bonnes grâces de Mme la Dauphine. » Ce refus n’a rien d’irritant pour Mme du Barry ; mais il coupe court aux projets sentimentaux de réconciliation pour le bonheur du Roi, et aux rêves de petits voyages.

Le duc d’Aiguillon, de plus en plus menacé par le chancelier, essayait à son tour de se maintenir au pouvoir en enchaînant la reconnaissance du Roi et de Mme du Barry. Il leur promettait de concilier à la favorite Madame Adélaïde et par suite, croyait-il, toute la famille, en achetant la comtesse de Narbonne. La mairie de Bordeaux pour le fils, un intérêt dans les fermes générales pour la mère, voilà Mme de Narbonne retournée ; et Madame Adélaïde, tout acquise, écrivant au Roi qu’elle se charge de ramener ses