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Les bruits de la défaveur de Mme du Barry devenaient assez forts pour paraître dans les dépêches diplomatiques. On prétendait que Madame Louise, du fond de son couvent, aidée par l’archevêque de Paris et le chancelier, s’occupait de faire reprendre à son père le projet de mariage avec une archiduchesse. Il fallut bientôt démentir tout cela ; ce n’étaient, cette fois encore, que les désirs de ses ennemis trop vite pris pour réalités. On le vit bien au mariage du troisième frère, le comte d’Artois, qui eut lieu en novembre 1773. Les récits des nouvellistes, aussitôt répandus partout, purent montrer à ceux qui comptaient sur la chute de la déesse, la vanité de leurs espérances : « On ne peut décrire, dit l’un d’eux, les beautés du banquet royal. L’Olympe peut seul en donner une idée. Le sieur Arnoux, machiniste plein d’imagination, a inventé un surtout d’une mécanique admirable ; le milieu en était une rivière qui a coulé pendant tout le repas ; son cours était orné de petits bateaux et autres décorations du mouvement d’une rivière… On sait qu’à ce banquet la seule famille royale et les princes sont admis. En face de Sa Majesté se remarquait Mme la comtesse du Barry, radieuse comme le soleil et ayant à elle seule pour cinq millions de pierreries sur sa personne. Pendant tout le repas, elle n’était en contemplation que de Sa Majesté, et le Roi ramenait sans cesse sur elle des yeux de complaisance et lui faisait, des mines remarquables. On a cru que Sa Majesté était très aise de démentir ainsi publiquement les bruits de défaveur qu’on faisait courir sur le compte de cette dame, dont la reconnaissance et le profond respect n’éclataient pas moins sensiblement. »

Ce plat bavardage de journaliste mondain passe sous silence Marie-Antoinette. Elle avait pourtant su prendre, cette fois, sa vraie place dans ces fêtes du mariage fraternel où elle remplissait un rôle dont la pensée faisait sourire Marie-Thérèse, « celui de la vieille maman ». Mme du Barry avait dû elle-même s’incliner devant les charmes de sa jeunesse épanouie et devant cette fierté déjà souveraine qui lui donnait, parmi les princesses de tout âge, l’autorité du geste et de la grâce.

Comme le complot en faveur de la comtesse de Provence avait échoué devant la médiocrité de cette rivale, comme les avances adressées à la comtesse d’Artois se heurtaient à l’opposition violente du jeune mari, c’est vers la Dauphine que revenait Mme du Barry quand elle cherchait un appui dans la famille royale. Si la favorite conservait, sans crainte sérieuse de le perdre, l’empire que l’habitude lui donnait sur Louis XV, elle ne se dissimulait pas que la force s’en était amortie peu à peu. Le Roi, lucide, même dans l’orgie, jugeait fort bien les gens au milieu desquels on le