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leur cour selon l’étiquette, même silence glacial de Marie-Antoinette. Elle écrit quelques jours après, essayant de mettre de bonnes raisons de son côté : « Madame ma très chère mère, la présentation de la jeune Mme du Barry s’est très bien passée. Un moment avant qu’elle vînt chez moi, on m’a dit que le Roi n’avait dit mot ni à la tante ni à la nièce ; j’en ai fait autant. Mais au reste je puis bien assurer à ma chère maman que je les ai reçues très poliment ; tout le monde qui était chez moi est convenu que je n’avais ni embarras ni empressement à les voir sortir ; le Roi sûrement n’a pas été mécontent, car il a été de très bonne humeur toute la soirée avec nous. Le voyage finira beaucoup mieux qu’il paraissait d’abord, nous n’entendons plus parler de mouvement ni d’intrigue. »

On prêtait à la favorite, suivant la tradition de la grande marquise, l’intention d’utiliser, pour plaire au Roi, l’éblouissante beauté de sa nièce. Ce calcul avait dû être raconté à Marie-Antoinette pour soulever sa répulsion. Le Dauphin en était indigné. On avait parlé du vicomte Adolphe pour la place vacante de premier écuyer, qui donnait le droit de débotter au retour des chasses le Roi et le Dauphin : « Qu’il ne s’approche pas de moi, avait dit le prince ; je lui donnerais de ma botte sur la joue ! » Si Marie-Antoinette eût mieux connu la jeune vicomtesse du Barry, elle aurait jugé peu généreux de faire expier à cette innocente fille le malheur du nom qu’elle venait de prendre. Elle s’acharnait au contraire, refusait de l’admettre parmi les dames qui la suivaient à la chasse à tour de rôle dans les calèches de la Cour, défendait à sa dame d’honneur de l’appeler jamais à ses bals, et la nouvelle mariée, venue à Versailles, paraît-il, sans rien connaître de la famille où ses parens, les Soubise, la faisaient entrer, dévorait tout le long du jour les sourires à double entente et les ironiques pitiés. Il en était de même pour une autre parente par alliance de la favorite, Mlle de Fumel, qui venait d’épouser le marquis du Barry, et qu’on avait attachée à la Cour comme dame de la nouvelle comtesse d’Artois. Personne de la famille royale ne lui parlait, et, par suite, la moitié de la Cour affectait de l’ignorer. Elle traînait dans les fonctions de sa charge un de ces désespoirs de vanité qui rongent si profondément le cœur des femmes. Marie-Antoinette elle-même, touchée de compassion pour cette malheureuse, finissait un jour, sur les prières de Mercy et malgré l’âpre obstination de Mesdames, par lui montrer qu’elle s’apercevait de sa présence. Si elle restait impitoyable pour la vicomtesse Adolphe, c’est sans doute que les soupçons répandus lors du mariage avaient mis en elle un insurmontable dégoût.