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au contraire beaucoup à ne point désobliger l’Autriche. La paresse de Louis XV aidant, les mains de ses alliés restent libres vers l’Est. L’opinion française se soulèvera en vain en faveur de la Pologne ; en vain multipliera-t-elle les brochures, et ces estampes satiriques où se verra la carte de Pologne, ce « gâteau des rois », morcelée et livrée en partage aux avidités cyniques ou hypocrites des monarques. En vain la comtesse d’Egmont écrira à Gustave III : « Je suis indignée du sang-froid avec lequel on voit le brigandage que trois puissances prétendues civilisées exercent contre la malheureuse Pologne. Il n’y eut jamais une telle chose dans l’univers : trois puissances qui se réunissent pour en dépouiller une contre laquelle nulle des trois n’est en guerre ! » Ce sont là démonstrations platoniques que compensent d’autre part les flagorneries de Voltaire.

L’essentiel, pour les royaux complices, est que le roi de France se taise et qu’aucune protestation ne s’élève du cabinet de Versailles. Ce résultat, qui surprend à Vienne même et qu’on n’eût pas obtenu de M. de Choiseul, est en grande partie dû aux manœuvres de Mercy. Sa présence familière chez Mme du Barry a préparé les voies ; les concessions qu’il a su obtenir de son Archiduchesse ont levé les derniers obstacles. C’est ainsi que Marie-Antoinette a été amenée à jouer un rôle, sans le savoir, dans les événemens qui ont rendu possible le premier partage de la Pologne. C’est pendant ce séjour de Compiègne, marqué par ses docilités extrêmes, qu’on signait le traité de Pétersbourg et que l’œuvre d’iniquité s’accomplissait.


V

Pendant que des millions d’hommes, au loin, dans les plaines slaves, passaient sous le joug ennemi, qui allait devenir si cruel, la Dauphine de France, pour qui la Pologne ne fut jamais qu’une expression géographique, n’était même pas mise au courant des remords qui assiégeaient la grande âme de sa mère. Frédéric II, incapable de les comprendre et toujours heureux de souiller quelque chose, écrivait à d’Alembert : « L’impératrice Catherine et moi sommes deux brigands ; mais cette dévote d’Impératrice-Reine, comment a-t-elle arrangé cela avec son confesseur ? » Marie-Thérèse, entraînée dans une situation plus forte que ses desseins, n’avait pas agi sans honte, sans larmes de repentir, sans une juste vision de la tâche qu’elle imprimait à son règne. L’Autriche, disait-on, pour se faire payer d’appareils scrupules, avait pris au pillage la plus grosse part ; cette considération, qui