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de rituel, de dévotion, d’ascétisme, de s’émousser la sensibilité religieuse et de tomber dans cette espèce de dilettantisme clérical qu’est devenu le ritualisme anglican de nos jours. Je le dis sans vouloir porter la moindre atteinte au sérieux et à la loyauté d’hommes qui suivaient courageusement leur conscience ; il ne suffit pas de jouer au catholicisme pour en ressentir les effets. Un clergé sans vocation, un service sans consécration, une autorité sans légitimité, une religion sans réalité, tout cela n’est que l’écorce. La substance est autre part, et lame risque de se lasser au contact de ces formes vides.

Aussi bien une nature affamée de réalité, d’action, de vérité, comme celle de Manning, ne pouvait éternellement se contenter des viandes creuses de l’anglo-catholicisme. Il commençait à sentir que les vérités mêmes qu’il possédait, les demi-certitudes qui le retenaient dans l’anglicanisme, appelaient des vérités complémentaires, des supplémens de certitudes et que, s’il n’allait pas jusqu’au bout, il perdrait le peu même qu’il avait. Le christianisme, à ses yeux, impliquait le catholicisme ; repousser systématiquement celui-ci, ce serait se mettre involontairement hors de celui-là. En d’autres termes, pour lui, comme jadis pour Newman, la question du salut de son âme commençait à primer celle de la consistance de sa doctrine et de la cohérence de ses convictions. Le problème purement intellectuel s’effaçait : le problème religieux, moral, vital se posait de plus en plus nettement. Manning n’aurait plus pu donner à d’autres ou à soi-même le conseil de s’en tenir humblement aux certitudes communes à toutes les confessions, de pratiquer simplement les vertus qui ne sont pas plus propres au catholicisme qu’au protestantisme, de se borner à demander ces grâces élémentaires qui sont le patrimoine commun de toutes les âmes de bonne foi. Il n’aurait plus pu répéter que ce n’était pas une question de vie ou de mort et qu’il lui était loisible d’attendre une vocation d’en haut plus précise. L’œuvre interne était achevée. Le cycle était parcouru. Les événemens extérieurs allaient donner l’impulsion finale.

Si j’ai tant insisté sur cette évolution psychologique, ce n’est pas seulement à cause de l’intérêt qu’offre l’histoire d’une âme, et d’une telle âme, c’est surtout pour répondre aux allégations de M. Purcell et de certains de ses critiques, qui n’ont vu ou voulu voir dans cette conversion si tardive et si disputée, résultat d’une lutte sans relâche de six ans, fruit lentement mûri d’un admirable développement de piété, que l’acte tout politique d’un homme de parti. Si l’exposé que je viens de faire n’est pas l’ample et suffisante réfutation de cette sotte calomnie, s’il n’en