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beaucoup d’esprit et n’est pas prévenue, tout à fait pour Mme du Barry. » Elle sut bientôt que la cabale avait formé un plan plus grave pour elle, celui de lui opposer en toutes circonstances la princesse de Savoie et de se servir de celle-ci pour l’éclipser. Déjà l’état de maison fastueux, auquel La Vaugnyon avait décidé le Roi, était en tout l’équivalent de celui du couple aîné. Les fêtes du mariage, malgré la pénurie des finances, eurent un éclat presque égal à celles du mariage du Dauphin, et le même ordre des journées y fut suivi. Partout Mme du Barry fut au premier rang, au souper de Choisy, au milieu des plus grandes dames de France, aux spectacles, dans sa loge réservée à côté de la grande loge royale. La Dauphine brillait, il est vrai, de son charme vif et ingénu, et aussi par contraste avec la laide et gauche comtesse de Provence, qui manquait décidément de ce côté aux méchantes espérances. Mais elle ne tenait pas la première place pour la curiosité publique ; Mme du Barry s’y étalait orgueilleusement, et nul ministre à présent ne lui portait ombrage. Elle avait fixé le programme, choisi les acteurs, ordonné les dépenses ; elle savourait devant tous sa puissance, en ces fêtes qu’elle semblait présider : ce scandale suprême était son triomphe.


Avril avait eu le lit de justice, mai, le mariage du comte de Provence ; l’événement de juin fut l’arrivée d’Aiguillon au ministère. Ce n’avait pas été sans peine qu’on avait décidé le Roi ; la dame avait pleuré tout un soir pour obtenir cette grâce promise depuis des mois. Quoi qu’il en fût, c’était la décisive victoire du parti Du Barry, qui donnait son Choiseul à la nouvelle Pompadour et mettait la monarchie à sa merci. Il pouvait en sortir, pour la Dauphine, de fâcheuses conséquences. Non que l’alliance fût sérieusement menacée : Louis XV tenait à son œuvre et l’état de l’Europe ne permettrait pas au nouveau ministre, quel que fût son désir secret, de tenter pour le moment d’autres combinaisons que celles de son prédécesseur. Mais il y avait bien des façons de nuire à la fille de Marie-Thérèse, et de lui faire expier les leçons d’honnêteté allemande qu’elle s’était permis de donner à Versailles. A présent que l’influence de la Du Barry n’avait plus de contrepoids, le crédit de la Dauphine sur le Roi allait être miné sourdement par l’insinuation, la médisance, les silences perfides. On pouvait, au dehors, la dépeindre légère, folle de plaisirs et bien inquiétante comme reine future, détruire en ce mobile miroir de l’opinion la rayonnante image qui s’y était tracée. Les pamphlets qui traînaient dans la boue la favorite pouvaient servir à jeter sur la blanche robe de la Dauphine quelques légères éclaboussures, plus dangereuses pour