Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/415

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Choisy, le Roi, pour amuser la Dauphine, fit jouer ses comédiens au petit théâtre du château, trop resserré pour contenir aisément tout le service et la suite de la famille royale. Un soir, les dames du palais s’étant emparées des premiers bancs, refusent de faire place à trois retardataires ; c’était Mme du Barry et ses deux inséparables, la maréchale de Mirepoix et la comtesse de Valentinois. Ces contestations, sous les yeux des spectateurs, amènent aisément d’extrêmes excitations de vanité ; des propos s’échangent, vifs et cinglans ; une dame de la Dauphine, la comtesse de Gramont, tient tête à Mme du Barry. Le lendemain, celle-ci porte plainte au maître et Mme de Gramont, par une de ces petites lettres de cachet qu’expédie La Vrillière, se trouve exilée à quinze lieues de la Cour. Cette punition cause une grande rumeur. Voilà tous les Choiseul en colère ; la comtesse de Gramont est belle-sœur de la duchesse et fort liée à leur parti ; ils demandent à la Dauphine d’intercéder auprès du Roi, faisant ainsi dès les premiers jours contre la favorite l’essai d’une jeune influence qu’ils risquent de briser. Marie-Antoinette brûle de se prêter à l’expérience ; mais M. de Mercy survient à temps pour retenir son imprudence, et suggère une réclamation bornée au seul point où elle ait chance d’être admise. La princesse, inquiétée par cet avis, témoigne à son grand-père qu’elle est peinée d’une faute commise par une dame de sa maison ; elle ne cherche pas à connaître cette faute, ni à l’excuser, elle regrette seulement que l’exil ait eu lieu sans qu’elle ait été avertie de la volonté du Roi. Louis XV, toujours gauche devant une explication directe, heureux pourtant que le fond du sujet ne soit pas abordé, avoue que M. de la Vrillière aurait dû prévenir la Dauphine d’une mesure touchant une de ses dames, et joint maint propos affectueux à cette demi-excuse.

Peu après, pendant Fontainebleau, l’exilée écrit à sa maîtresse qu’elle est malade, obligée de solliciter par elle son retour à Paris pour se faire soigner. Marie-Antoinette intercède cette fois ; elle parle au Roi après un souper public, où toute la famille est réunie ; et comme il se montre sérieux, froid, parce que Mme du Barry n’a pas pardonné : « Quel chagrin pour moi, mon papa, dit-elle, si une femme attachée à mon service venait à mourir dans votre disgrâce ! » Le Roi sourit, désarmé, et promet de se rendre à cette prière. Il est certain pourtant qu’elle n’a pas suffi ; ce n’est qu’après des certificats de médecin dûment dressés que l’autorisation de retour est accordée, et la Cour reste absolument interdite à la coupable. Mme du Barry a exigé cet exemple et fait reconnaître, à son profit, un nouveau crime de lèse-majesté. Triomphe, si l’on veut, mais que Marie-Antoinette, blessée, ne lui pardonnera jamais ; l’exil de sa dame du palais,