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Cette foi simple, candide, radieuse, était bien le sentiment qui devait accompagner et faciliter la mort de ce grand chrétien. Pendant près de deux ans il vit avec sérénité sa faiblesse grandir. Au commencement de l’année 1892 il comprit que la dernière heure avait sonné. Il reçut les derniers sacremens et il fit sa profession solennelle de foi devant le chapitre de Westminster, le 13 janvier. Pendant sa dernière nuit il fut veillé par trois amis, Mgr Vaughan, son successeur, le chanoine Johnson, son secrétaire, et le docteur Gasquet, son médecin. A l’aube du 14, pendant que Mgr Vaughan disait la messe dans son oratoire, l’âme d’Henry Edward Manning, cardinal-archevêque de Westminster, fut rappelée auprès de Dieu.

Presque en même temps mourait un jeune prince, dans la ligne directe de la succession à la couronne d’Angleterre, le duc de Clarence. Ce deuil national ne fit pas tort à l’immense explosion de douleur qui salua la disparition de cet octogénaire. On eût dit que le Londres ouvrier, populaire, pauvre, se sentait orphelin. Dans la foule qui défila en rangs serrés dans la chapelle mortuaire où étaient exposés les restes mortels de l’archevêque, revêtus de la pourpre cardinalice, on vit, à côté de ses collègues dans l’épiscopat, des membres de son clergé, des laïques de son troupeau, des néophytes qu’il avait amenés à l’Eglise, des pénitens dont il était le directeur, des amis qu’il recevait, avec sa bonne grâce habituelle, et des individualités de toute espèce, de toute opinion, et de toute origine, qui avaient goûté sa généreuse et tolérante hospitalité, une foule anonyme en partie décemment vêtue, en partie hâve et déguenillée, venue pour voir une dernière fois les traits émaciés du patron des pauvres, du cardinal du peuple. Ses funérailles furent célébrées le 21 janvier à l’Oratoire de Brompton. Dans ce vaste sanctuaire s’assemblèrent pour lui rendre les derniers devoirs tous les représentais de l’Eglise, de l’aristocratie, de la politique, des classes dirigeantes. Ce fut au dehors que se fit la manifestation la plus imposante. Les rues étaient remplies des masses profondes du peuple. La Ligue de la Croix, avec ses bannières, la Ligue nationale irlandaise, l’Alliance de tempérance du Royaume-Uni, les Trade-Unions de Londres, les sociétés des ouvriers des docks, des Bons-Templiers, les Bandes de la Miséricorde, des groupes d’enfans, des confréries religieuses, des associations politiques, des corporations ouvrières, la grande année des travailleurs, et, par derrière, en files plus serrées encore, cette grande armée des misérables qui n’émerge d’ordinaire à la lumière qu’aux heures sombres de trouble et d’orage, — cette foule disparate faisait la haie sur le long parcours de l’oratoire au cimetière. Sur plusieurs points