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à peine, pour accorder son patronage à la fondation des Trade-Unions agricoles par Joseph Arch. Une conférence qu’il fit en 1877, sur les droits et la dignité du travail, contenait l’exposition de ces principes. Il y esquissait cette organisation sociale dont le pressentiment le hantait et qui, par bien des traits, se rattache au régime corporatif de jadis. Tout en répudiant toute sympathie révolutionnaire, il y concluait nettement en faveur de la fixation légale de la durée normale de la journée de travail et, après avoir peint quelques-uns des effets de la concurrence illimitée et du jeu sans frein de l’offre et de la demande, il terminait par ces mots : « Ces choses ne peuvent pas, — elles ne doivent pas durer. L’entassement des richesses, énormes comme des montagnes, entre les mains de certaines classes ou de certains individus, ne saurait continuer indéfiniment si un remède n’est pas apporté à la condition du peuple. Une société ne saurait reposer sur de tels fondemens. » Dans une lettre pastorale de 1880, il signalait l’existence « au milieu de nos grandes villes, non pas de la pauvreté, qui est un état honorable, mais du paupérisme, qui en est la corruption et l’avilissement des pauvres ; » et il peignait sous les plus sombres couleurs « ces inégalités de notre état social, ces abîmes creusés entre les classes, ces contrastes abrupts entre des lots de délices et des destinées de misère. » Dans ses articles de la Contemporary, de la Fortnightly Review, du Nineteenth Century, dans ses lettres au Times, il ne reculait ni devant les pensées audacieuses, ni devant les mots téméraires. Son droit au vol, enté sur le droit au travail et à l’assistance, bien qu’en réalité emprunté à la théologie la plus orthodoxe de l’Eglise, était bien fait, sans doute avec préméditation, pour faire bondir tout économiste. Du reste, Manning ne fuyait pas plus les relations compromettantes que les idées mal vues. Le célèbre socialiste américain Henry Georges, les chefs du néo-trade-unionnisme, les Tom Mann, les Ben Tillett, les John Burns, reçurent un accueil cordial à l’archevêché. Cette maison était devenue le rendez-vous, non seulement du clergé et des fidèles de son diocèse, mais d’une foule de rêveurs, d’agitateurs, de réformateurs, voire de révolutionnaires, qui, venus une première fois en visiteurs, revenaient parfois en pénitens. Manning, par sa Ligue de la Croix, par ses rapports avec les Irlandais, était entré en contact direct avec le peuple, avec les classes laborieuses. C’était de ce côté qu’il voulait que s’orientât l’Eglise. Il croyait que chercher à s’appuyer sur les gouvernemens ou sur les classes dirigeantes c’était aller au-devant de cruelles désillusions. Quand le pape Léon XIII envoya un délégué spécial, Mgr Persico, étudier la question du plan de campagne et de l’agitation agraire en Irlande, l’archevêque de Westminster regretta