Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bienfaiteur et son propre passé en se prêtant à la diplomatie louche de ces grands conciliateurs qui sacrifieraient tous les droits de la conscience à un sourire des puissans de ce monde.

Son sentiment était bien différent. Il l’a exprimé dans son journal intime où il répudie également les deux écoles qui aboutissent toutes deux à l’abdication spirituelle aussi bien que temporelle de la papauté, l’une en feignant de compter sur un miracle, l’autre en prêchant l’inaction comme le plus sacré des devoirs. « Il faut savoir, s’écriait-il dès 1876, si nous devons nous enfermer dans une nouvelle arche comme Noé ou si nous ne devons pas plutôt, comme tous les pontifes depuis Léon le Grand, agir sur le monde. » Et il ajoutait : « La parabole de la brebis perdue suffit à trancher la question. » Ainsi cette fois encore la source de la politique de Manning, le secret de l’évolution qui allait faire du champion du pouvoir temporel et de l’infaillibilité, dans la dernière partie de sa carrière, l’apôtre de la papauté réformatrice et du catholicisme social, c’est dans les profondeurs d’une conscience vraiment sacerdotale, c’est dans l’ardent désir de sauver des âmes qu’il faut les chercher.

Cette noble conception de la papauté se libérant en libérant l’Eglise, conquérant le monde à force de le servir, fut l’inspiration des vingt dernières années de cette vie. Naturellement elle amena Manning à quitter davantage le terrain proprement ecclésiastique. Il y livra pourtant encore de rudes combats. L’adversaire le plus redoutable avec lequel il dut croiser le fer, ce fut M. Gladstone, qui profita de sa rentrée dans la vie privée en 1874 pour soutenir, dans son Vaticanisme et d’autres brochures, l’impossibilité pour les catholiques, en acceptant le dogme de l’infaillibilité, de garder une loyale allégeance à leur souveraine. Il en coûta à Manning de se jeter dans cette controverse qui interrompit de nouveau pour quinze ans une amitié jadis déjà suspendue par sa conversion et peu à peu renouée depuis 1865. Pas plus que de coutume il ne se déroba à ce pénible devoir. C’est bien le même zèle juvénile qu’il continua de porter dans l’administration de son diocèse et dans l’exercice de ses fonctions spirituelles, particulièrement dans la prédication, dans la direction des consciences et dans l’éducation du clergé, si chère à son cœur. Si ses voyages à Rome devinrent un peu moins fréquens, il faut surtout l’attribuer aux progrès de l’âge. Promu cardinal en 1875, il sut porter la pourpre avec une dignité simple qui en rehaussa encore l’éclat. Ascète pour lui-même, il suivait un régime d’une frugalité absolue et ne buvait que de l’eau, mais il tenait à déployer pour les autres une hospitalité sans faste, mais conforme à son rang. En Angleterre, les hostilités du