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politico-religieuses et aux réguliers. Le choix des théologiens consulteurs, appelés à assister les Pères du concile, était une grosse affaire. Mgr Dupanloup souhaita vainement avoir pour le sien Newman. Les évêques anglais l’avaient laissé de côté, soit qu’ils eussent ajouté foi à un bruit invraisemblable d’après lequel le pape voulait avoir directement recours à ses lumières, soit que son opposition au dogme de l’infaillibilité l’eût mis en trop mauvaise odeur à Rome. La lutte s’annonçait singulièrement vive, obstinée, d’une issue encore douteuse. Dœllinger ne se contentait pas de recourir aux armes légitimes de la théologie, de l’érudition, ni même de dénoncer le triomphe des jésuites, en reprochant à Manning un zèle de converti. Il ne se faisait pas scrupule de faire appel au pouvoir civil et de réclamer, au nom d’un soi-disant libéralisme et dans l’intérêt des principes de la société moderne, la résurrection du veto des couronnes. Les évêques allemands, dans l’adresse qu’ils adoptèrent à Fulda, se placèrent sur le terrain plus circonscrit de l’inopportunité de la définition. Mgr Maret publiait son grand ouvrage, derrière les savantes et lourdes dissertations duquel on croyait discerner la menace d’une intervention de ce parti catholique libéral qui venait d’arriver au pouvoir en France avec le ministère Ollivier-Daru. Mgr Dupanloup ne tarissait pas en éloquentes protestations. Manning avait lancé une lettre pastorale sur le sujet brûlant. Il fut tout simplement accusé d’hérésie par l’évêque d’Orléans ; et il fallut répondre à ce bouillant polémiste, qui ne savait pas l’anglais, qu’il avait condamné une faute de traduction de M. Louis Veuillot.

L’heure du concile approchait ; Manning se mit en route. A Paris, il vit M. Thiers, qui lui fit les professions de foi du plus édifiant déisme et lui dit spirituellement : Ne nous faites pas la vie trop dure ! Ne condamnez pas les principes de 89 ! M. Guizot déclara que le pouvoir temporel était le dernier pilier de l’ordre européen, et qu’il voyait dans le concile la seule puissance morale capable de rendre la paix au monde. La première affaire de cette assemblée était d’élire des députations ou commissions où l’épiscopat de chaque nationalité comptait un ou plusieurs représentans. Ce ne fut pas sur Manning, mais sur Grant, que se porta le choix des évêques anglais. Les Italiens en dédommagèrent l’archevêque de Westminster en l’élisant. Il ne saurait rentrer dans mon dessein de retracer en détail l’histoire du concile du Vatican. Je dois me contenter d’y caractériser le rôle de Manning. Ce rôle fut triple : au dedans, parmi ses collègues, dans les travaux préparatoires et les discussions générales ; au dehors, auprès du pape et auprès du spirituel et distingué agent que l’Angleterre entretenait sans l’accréditer à Rome. Son activité fut immense. Elle