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s’emparant de ses usages. On confessait un peu à tort et à travers, sans grand souci des limites de la paroisse et des droits du diocésain. La légende raconte que Manning, devenu catholique et archevêque, conserva ce fâcheux dédain de l’ordre et ne renonça à usurper dans ses confessions et directions sur le terrain des autres évêques que devant de vives représentations.

Tout de même il avait un peu faussé la pratique si sage de l’Église, en donnant du haut de la chaire, dans des sermons à l’adresse de tous, des préceptes et des instructions de conduite que le directeur authentique a bien soin de modeler sur les caractères et les tempéramens, de proportionner aux forces et de distribuer individuellement. M. Gladstone, qui priait spirituellement son ami d’ouvrir « le compartiment de casuistique », dont l’esprit de Manning était pourvu comme le sien, afin de discuter quelque beau cas de conscience, lui remontrait justement qu’avec les règles de vie promulguées dans l’un de ses sermons, un député, un ministre comme lui n’aurait eu qu’à renoncer à sa carrière.

Manning, du reste, n’était pas moins rigoureux pour lui-même. Il s’imposait, non seulement en carême, mais en toute saison, des heures fixes de prière, de méditation, de lecture, d’examen de conscience. Il pratiquait le jeûne, au moins le mercredi et le vendredi. Il s’astreignait à lire la Bible agenouillé, à réciter les sept psaumes de la Pénitence. Il se mortifiait par des abstinences spéciales. Il renonça, par exemple, dès 1847, au luxe des chevaux et des voitures. C’étaient les débuts de cet ascétisme qu’il devait pousser si loin plus tard. On avouera que ce mode de vivre n’est pas d’esprit protestant. Involontairement, Manning en témoignait par l’emploi usuel de formules et d’expressions du plus pur catholicisme. Il parlait de l’autel, du sacrifice ; il promettait à ses amis des commémorations in sacro, il écrivait ses lettres intimes et confidentielles sub sigillo confessionis. M. Purcell, qui se plaît à noter les vétilles, fait observer qu’en 1847 Manning, tout en se servant d’un vocabulaire tout imprégné de catholicisme, ignorait encore les termes quasi techniques de la dévotion catholique et désignait improprement le Sacré Cœur et le Salut du Saint-Sacrement. Ce trait prouve simplement à quel point tout ce développement interne était spontané et personnel.

En dépit de ses progrès constans dans cette voie, Manning ne trouvait pas le calme et la joie. Il s’accusait lui-même pendant ces années, où il fut appelé à jouer un rôle en évidence sur le théâtre de la métropole et de l’Eglise, de mondanité et d’ambition, de vues humaines et de lâches compromis. Ce soi-disant ambitieux n’en fut pas moins profondément troublé par l’offre du