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superficielle se masquait un contraste presque absolu de natures, de tempéramens, de destinées. Il était impossible que des amis trop zélés ne relevassent pas avec quelque amertume le changement survenu dans la position respective de Newman et de Manning depuis leur abjuration. Avant, Newman était le roi d’Oxford, l’oracle de l’anglo-catholicisme ; Manning n’était qu’un adjudant, un allié de campagne. Après, Newman vivait dans la retraite, dans une sorte de disgrâce, à la tête d’un collège de jeunes garçons ; Manning était l’archevêque de Westminster, le primat d’Angleterre, l’intime confident, le conseiller écouté du pape. Une telle différence dans leur sort devait, à elle seule, valoir à l’un toutes les faveurs, à l’autre toutes les sévérités de l’opinion. Comment celle-ci n’aurait-elle pas prodigué ses marques de bienveillance au grand esprit, à l’écrivain éminent, l’honneur des lettres anglaises, qui passait pour s’être attiré la demi-disgrâce dans laquelle il végétait par son courage à défendre des causes chères à la nation britannique ? Comment n’aurait-elle pas réservé ses rigueurs pour un homme qui semblait prendre à tâche de la braver en épousant les causes les plus impopulaires et dont on attribuait le rapide avancement à la gratitude de la Cour de Rome ? Les anglicans, les protestans, les libéraux eux-mêmes s’attendrissaient volontiers sur le grand homme qui se voyait récompensé de tant d’incomparables services rendus à l’Eglise par une sorte d’ostracisme. Ils sentaient vaguement, au fond, que Newman était resté l’un d’entre eux ; qu’il ne l’avait même jamais plus été que depuis sa conversion ; qu’Anglais jusque dans la moelle de ses os, il avait été rejeté vers les solutions moyennes d’une sorte de gallicanisme anglican depuis qu’il s’était trouvé en contact direct avec les réalités du catholicisme. Ils se vengeaient, d’autre part, de l’intransigeance de Manning, de son audace à jeter au public le défi de sa défense du pouvoir temporel et de l’infaillibilité, de son catholicisme agressif et offensif, eu attribuant a l’ambition ses convictions et à l’intrigue ses succès. C’était sous cet aspect qu’on le voyait alors. Disraeli lui-même, qui l’admirait sincèrement et qui se lia plus tard avec lui, dans le portrait un peu brillante et monté en couleur qu’il a donné de lui dans son roman de Lothair, appuie sur ce trait et fait de son cardinal Grandi son un invraisemblable alliage d’ascétisme et de machiavélisme. Les amis, naturellement, devaient s’employer à envenimer la querelle. Newman, bon gré mal gré, était le centre de l’opposition à tout ce qui se faisait à l’archevêché. Manning ne réprima peut-être pas assez certaines imprudences de langage de son entourage. Les occasions de conflit ne manquaient pas : réunion de la chrétienté, éducation universitaire, controverses relatives au