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des Grant, des Clifford et des Ullathorne. S’il se fit un peu trop de fête et s’attribua plus d’importance qu’il n’en avait, s’il eut même un instant la délicieuse naïveté de croire que le saint-père avait jeté les yeux sur lui et de le dire à son ami Manning, il n’en eut pas moins son utilité à son rang et à sa place.

Des rumeurs sourdes commençaient à désigner Manning, Celui-ci dut subir ces alternatives d’espoir et de doute qui sont si cruelles pour les ambitieux. Il écrivait, un jour, de mauvaises nouvelles : « Si je disais que pas une fois cette perspective ne s’est offerte à ma pensée, je mentirais ; mais en affirmant que pas un instant je ne l’ai crue probable, ou raisonnable, ou concevable, je ne dis que la stricte vérité. Dieu sait que pas une fois mes prières ne lui ont exprimé l’ombre d’un tel vœu… L’œuvre à laquelle je travaille ne dépend de la faveur ou de l’approbation de qui que ce soit, en dehors de Notre-Seigneur ou de son vicaire… Si le saint-père souhaite jamais la destruction de mon œuvre, elle n’existera plus avant le coucher du soleil : autrement, personne au monde ne saurait la détruire… J’ai offensé protestans, anglicans, catholiques gallicans, catholiques nationaux, catholiques mondains, et le gouvernement, et cette opinion publique qui, en Angleterre, combat, tout le long du jour et par tous les moyens, l’Eglise et le Saint-Siège. Vous savez si c’est là le chemin qui mène aux récompenses d’ici-bas ; j’espère y persévérer jusqu’à la fin, sûr que rien n’émousse le tranchant de la vérité. » Quelle déclaration d’indépendance pourrait passer en noblesse et en fierté cette profession de foi d’une âme qui mettait sa dignité et trouvait sa liberté dans l’obéissance ? Manning pouvait attendre de pied ferme une décision qui pouvait changer sa destinée, mais non son état d’âme.

Pie IX, après avoir hésité, après avoir parlé du choix de Clifford comme s’il devait se faire en dehors de lui, s’était résolu, peut-être sur l’impression toute chaude de l’insulto al papa qu’était à ses yeux la présentation du nom d’Errington, à intervenir personnellement. Il ordonna des prières et des messes spéciales pendant un mois pour appeler les lumières du ciel. La réponse ne se fit pas attendre trop longtemps. C’est le pape lui-même qui le conta à Manning quelques semaines plus tard : C’est proprement une inspiration à laquelle j’ai obéi en vous nommant. J’entendais sans cesse une voix qui me répétait : Nomme-le, nomme-le ! À ce message divin Pie IX ne crut pas devoir résister. Le 30 avril 1805, il choisit Henry-Edward Manning pour succéder au cardinal Wiseman comme archevêque de Westminster.