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L’Italie venait de se constituer avec l’aide militaire et diplomatique de la France. Fondé au nom de ce trop fameux principe des nationalités, mis en honneur par le chef du seul État peut-être qui n’eût rien à en attendre et tout à en redouter, le jeune royaume ne s’arrêtait en frémissant devant le patrimoine de Saint-Pierre que sur le veto du vainqueur de Solferino, devenu le factionnaire du Vatican. Pendant que ces contradictions irritaient également Italiens et partisans de la légitimité, le libéralisme vulgaire se laissait conter que la séparation du spirituel et du temporel exigeait l’assujettissement du chef d’une Eglise universelle au chef d’un État particulier.

Manning entra en lice par deux séries de conférences qu’il réunit en volumes, dont on commença par louer le zèle à la Propagande et qui faillirent, un peu plus tard, lui faire une mauvaise affaire. Ce qui déconcerta, c’était l’esprit infiniment plus religieux que politique de ce champion du Saint-Siège, qui protestait contre toute assimilation des droits sacrés du pape au principe terrestre et contingent de la légitimité, et qui condamnait presque l’emploi des moyens matériels et le recours à la force pour défendre une cause toute divine.

Non tali auxilio nec defensoribus istis !

On menaça de mettre à l’index cet ouvrage téméraire. Comme Fénelon, il était tout prêt à se soumettre avec une sorte d’âpre plaisir, « heureux, non pas de s’être mis dans le cas de subir ce jugement, mais d’avoir eu l’occasion de donner, à son temps et à son pays, un exemple de docilité en matière d’opinion. » Cette épreuve lui fut épargnée. Quelques légères erreurs de forme n’empêchèrent ni la Civilta cattolica de parler favorablement de son ouvrage, ni un nouveau livre de lui sur les Gloires du Saint-Siège au temps présent de recevoir un accueil plus chaleureux encore.

Ce fut à ce moment que survint la mort si longtemps attendue et escomptée du cardinal Wiseman. Rappelé télégraphiquement de Rome, Manning eut la consolation de lui dire adieu avant de lui fermer les yeux, le 3 février 1865. La crise était d’autant plus grave qu’une grande incertitude régnait sur cette succession. Wiseman, guéri du goût pour les coadjuteurs par une seule expérience, s’était obstinément refusé jusqu’au bout à en recevoir un nouveau. Un parti existait qui soutenait le droit indéfectible de Mgr Errington, en dépit de sa renonciation. Il s’agissait de savoir qui l’emporterait, du vieux catholicisme sectaire, immobile, effrayé de son ombre, ou du jeune catholicisme ardent, actif, agressif. Tout dépendait du choix que ferait Rome. Le