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évangélique n’entravaient guère l’activité de l’archidiacre de Chichester. Ses Charges ou mandemens annuels traitaient avec ampleur, avec autorité de toutes les grandes questions à l’ordre du jour. L’Essai sur l’unité de l’Eglise, publié en 1842 avec une dédicace à M. Gladstone, était rapidement mis au rang des classiques de l’anglicanisme. L’évêque d’Exeter, le fameux Phillpots, disait : « Nous avons trois hommes sur qui compter : dans l’Etat, Gladstone ; au barreau, Hope (le petit-gendre de sir Walter Scott, bientôt un compagnon de conversion de Manning) ; dans l’Eglise, Manning », et il ajoutait : « Il n’y a pas une puissance au monde qui puisse empêcher Manning de devenir évêque. » Un grand journal religieux, le Christian Remembrancer, partageait cette opinion et déclarait que le jeune archidiacre était un de ces hommes dont l’Eglise a besoin dans ses plus hautes dignités, et qui ne sauraient vieillir dans le poste honorable qu’ils occupent. » À Littlemore, dans l’entourage de Newman, à la veille de sa soumission, on était également convaincu, au témoignage du Père Lockhart, alors encore anglican, que Manning était désigné pour l’épiscopat. Un adversaire, le chef éminent du parti libéral et du rationalisme anglican, Frederick Denison Maurice, après un court séjour sous le même toit, en 1843, s’écriait : « Je ne sais où, de notre temps, l’on pourrait trouver un meilleur et plus sage évêque. » Quelques années plus tard, à la suite d’un meeting important, il écrivait : « Il y avait dans cette chambre un homme qui pourrait sauver l’Eglise, s’il le voulait : cet homme, c’est Manning. » Lui-même, dans son journal intime, s’avouait à lui-même « qu’il avait le pied sur le dernier échelon de l’échelle qu’il avait tant désirée. »

Aussi lorsque éclata la crise, lorsque Newman, par sa conversion, « cet événement inexplicable », au dire de lord John Russell, infligea, suivant le mot de Disraeli, « à l’Angleterre une secousse dont elle est encore ébranlée », quand, de jour en jour, de semaine en semaine, on apprit la défection de Ward. Dalgairns, Oakeley, de presque tous les aides de camp du reclus de Littlemore, les yeux de tous, amis et ennemis, se tournèrent instinctivement vers Manning comme vers Pusey. Ils semblaient les chefs désignés d’une nouvelle campagne où il s’agissait de passer de l’offensive à la défensive, où il n’était plus besoin de brillans et aventureux soldats d’avant-garde, mais d’hommes d’autorité et de gouvernement. Manning était vivement affecté. Il avait écrit à Newman une lettre d’adieu où, tout en l’assurant que « s’il savait des mots qui pussent exprimer son profond amour pour lui, sans souiller sa conscience, il les emploierait