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avait poussé, pour en scruter minutieusement la racine. Pas plus que personne il n’explique le miracle qui les fait dépendre Tune de l’autre, mais il veut tout voir, et il cherche à tout dire. Il le fait sans ordre, mais il le fait sans cesse, au hasard de l’impression subie, avec des images et des mots qui sont parfois un peu déroutans, parce qu’ils sont tantôt très élémentaires et tantôt très profonds. Aussi ses poèmes y contractent-ils vite un air en quelque sorte maladif. Par sa recherche, souvent naïve, de la minutie, des dessous mystérieux, et aussi par l’enchevêtrement de pensée qui en résulte, en même temps que par le frisson qui se dégage de quelques-uns de ses poèmes, M. Dehmel rappelle quelquefois Paul Verlaine, dont il a d’ailleurs excellemment traduit en allemand plusieurs œuvres.

M. Dehmel fera-t-il école ? et, une fois passés les premiers momens d’éblouissement qu’eut la nouvelle jeune Allemagne à sentir germer en elle comme un renouveau de lyrisme, verra-t-on les poètes aller vers ce que j’appellerai la poésie psychologique, où semblerait le plus les appeler la tendance dominante de notre époque ? je ne sais. Mais il était utile de faire remarquer que déjà au moins un poète vient de faire réentendre cette note en Allemagne, quoiqu’elle reste encore un peu isolée dans le nouveau concert des poètes, et qu’elle y soit donnée seulement par à-coups, et d’une voix un peu rude, mais dont les éclats savent cependant parfois s’adoucir en une harmonie des plus pénétrantes.


IV. — LA POÉSIE SYMBOLISTE

Si, dans la poésie individualiste, l’influence du réalisme, quoique singulièrement atténuée et transformée, était souvent encore assez manifeste, elle cesse complètement de l’être chez un groupe de poètes encore plus nouveaux, et qui essaient aujourd’hui en Allemagne de mettre en honneur à peu près ce que nous avons appelé en France le symbolisme. J’ai déjà fait remarquer il y a quelques années les ressemblances profondes qui existaient, pour quelques-uns des principes essentiels, entre notre mouvement symboliste et l’école romantique allemande. C’est donc à une sorte de retour vers l’une des formes de leur passé littéraire, plutôt qu’à une véritable innovation, que nous convient aussi ces nouveaux poètes. En faisant cette remarque, je ne prétends pas les rabaisser ; puisque aussi bien il y a des siècles et des siècles qu’a été parcouru et reconnu dans toute son étendue le domaine où peut se mouvoir tout art littéraire, et que chaque génération ne fait que reprendre possession de telle ou telle partie de ce domaine, pour le cultiver à sa manière, avec de petits