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qu’elles étaient capables, par leur prédilection pour les côtés les plus bas de la vie, de commettre encore plus de fautes, et des fautes plus grossières contre l’art, que n’avait jamais pu en commettre la naïveté optimiste des « écoles idéalistes » contre lesquelles elles menaient campagne.

Parmi les jeunes poètes allemands qui ne surent pas échapper à ce danger, je citerai seulement Hermann Conradi, — mort prématurément il y a déjà quelques années, — et à qui nous devons les Chants d’un Pécheur. Le souvenir de Baudelaire y est manifeste. Hermann Conradi a seulement cherché à aller en tout « plus loin » que l’auteur des Fleurs du Mal. Ses poèmes sont des « hymnes au péché ». L’amour n’y est jamais que sensualité, et tous les sentimens y sont ramenés à l’égoïsme. Le poète n’a qu’une pensée : faire le fanfaron de vices ; et la seule étoile qui luise dans cette nuit de pessimisme, c’est sa foi naïve en un « nouvel art ». On a d’ailleurs le sentiment qu’au fond Hermann Conradi dut être un homme meilleur qu’il ne veut bien le dire : son livre n’est qu’une sorte de gant de défi jeté aux « vieux », à ceux qui ne se reconnaissaient dans leurs vers que les plus nobles vertus ; et c’est donc simplement un mensonge opposé à un autre mensonge.

Le représentant le plus caractéristique de la tendance individualiste, et peut-être aujourd’hui le poète le plus en vue de toute la nouvelle jeune Allemagne, est M. Detlev de Liliencron. M. de Liliencron est déjà d’un certain âge, mais il appartient cependant tout à fait à la jeune génération littéraire. Il avait presque atteint la quarantaine lorsqu’il commença d’écrire, il y a dix ou douze ans. Il avait été quelques années officier dans l’armée prussienne, où il se distingua pendant la guerre d’Autriche. Démissionnaire, il mena ensuite une vie un peu aventureuse, rentra pour quelque temps dans les administrations civiles, et trouva enfin sa vraie voie dans la littérature et la poésie.

Le retard que M. de Liliencron avait mis à débuter ne l’empêcha pas de passer par des périodes de tâtonnement, mais on peut dire de lui qu’il y brûla les étapes. Dans ses quatre volumes de poèmes : Chevauchées d’officier, Poèmes, Dans les Bruyères et Nouveaux Poèmes, on peut suivre facilement la rapide transformation et l’épanouissement de son talent. M. de Liliencron ayant commencé, lui aussi, par se vouer en partie à un art de lutte et d’opposition, y apporta les défauts et y montra les faiblesses qu’entraîne avec soi cette manière de comprendre l’art. Mais, chez lui, ces défauts et ces faiblesses étaient le résultat d’un effort de sa volonté, plutôt qu’ils n’étaient le témoignage de sa nature intime. Lui aussi, au début, il avait été un peu la victime de