Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui y étaient nés n’en était pas moins de vivre et de mourir dans son sein, c’est-à-dire dans la privation des grâces accordées à des communions plus favorisées, mais avec l’âpre satisfaction de l’obéissance jusqu’au bout et de la fidélité malgré tout. Cet ingénieux expédient cessa de le satisfaire le jour où il s’avisa que, par ce détour, il revenait tout simplement à l’individualisme protestant et à la suppression de l’Église comme moyen de grâce. Au fond, sa décision fut prise quand il aperçut clairement qu’il était retenu, moins par les scrupules de sa conscience, les doutes de sa raison ou les affections de son cœur que par les appréhensions du chef de parti, les ennuis du docteur humilié, le point d’honneur du général forcé de passer à l’ennemi.

Il avait dénoué l’un après l’autre les liens qui le retenaient au passé. Il cessa de résider au collège d’Oriel ; il se démit de sa cure de la paroisse universitaire de Sainte-Marie ; il avait interrompu, sur l’ordre de son évêque, la série des Tracts for the Times ; il céda la direction de sa revue, le British Critic. Enfin il se retira à Littlemore, hameau voisin d’Oxford, dans une sorte d’ermitage ou de modeste couvent qu’il avait élevé, et où, entouré d’une cohorte de jeunes disciples, il mena deux ou trois ans une vie cloîtrée et monacale.

Les événemens se précipitaient. Bunsen, l’envoyé de Prusse, donnait sans le savoir la dernière impulsion à une résolution lentement formée, en obtenant l’assentiment du gouvernement et de l’Eglise d’Angleterre à son projet favori de création d’un évêché mixte, mi-anglican, mi-prussien, à Jérusalem. C’était la coopération patente, avouée, presque la fusion avec le protestantisme continental. Dans l’automne de 1845, la longue agonie arriva à son terme. Le 8 octobre, Newman alla abjurer le protestantisme, se faire recevoir dans l’Eglise catholique, et communier des mains d’un Père passionniste italien, de passage en Angleterre, d’un ancien berger de la campagne romaine, le Père Dominique.


III

J’ai dû suivre le mouvement d’Oxford jusqu’à la catastrophe finale. Le seul fait que j’aie pu le retracer sans nommer une seule fois Manning prouve assez que, s’il en subit profondément l’influence, il n’y joua pas, dans cette phase, un rôle considérable. A vrai dire, Newman est à lui seul tout le Tractarianisme. Ni le tempérament de Manning, ni les circonstances de son existence à cette époque ne le prédisposaient à prendre une part principale