Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 135.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

notes de l’Église, une, éternelle, immuable, infaillible, visible — c’est-à-dire, d’après la formule de Vincent de Lérins, le semper…, ubique…, ab omnibus, telle était l’entreprise ou la gageure désespérée à laquelle se voua, un beau jour de l’an de grâce 1833, un jeune et obscur fellow d’Oriel. Sur ce fondement, il éleva l’édifice des Tracts for the Times, de ces petites brochures périodiques dont il fut toujours l’inspirateur, le réviseur et l’éditeur responsable et le plus souvent l’auteur.

Le succès de ces feuilles volantes fui prodigieux. Du jour au lendemain, un grand parti se forma. Newman en fut le chef. Il était célèbre, il était puissant. Il entrait dans cette phase extraordinaire de sa vie qui dura douze ans et dont il a noté lui-même les étapes comme celles d’un chemin de croix. L’Angleterre eut le spectacle sans précédent d’un simple ecclésiastique, sans dignité, sans rang dans la hiérarchie, devenu le généralissime d’une grande armée, le maître absolu d’une troupe d’amis dévoués, l’oracle infaillible d’une école, le directeur de conscience d’une foule de pénitens. On a dit qu’à cette époque, pour beaucoup d’hommes éminens, doués de raison et de volonté, la formule adéquate et complète de leur foi était : Credo in Newmanum. Ses sermons à Sainte-Marie, la paroisse de l’Université, étaient suivis par d’immenses auditoires. Ses modestes chambres d’Oriel étaient un sanctuaire dont le seuil ne se franchissait pas sans émotion. Un mot de lui, moins que cela, une nuance fugitive d’expression, un geste, un silence, étaient écoutés, obéis, comme les commandemens d’un roi absolu ou les décrets d’un pontife infaillible. Rarement homme, en ce siècle et dans tous les siècles, a goûté plus complètement les joies enivrantes d’une dictature intellectuelle et morale.

Ce qu’il y a d’émouvant, de pathétique dans son cas, c’est que pendant presque tout ce temps l’objet de cette adoration, l’idole de ce culte est en proie à la poignante angoisse du doute. Il voit s’effondrer sous ses pas le sol même sur lequel il construit cet imposant édifice. Il voit se creuser à ses côtés des abîmes, et, plus infortuné que Pascal, c’est lui-même qui y mène perdre tous ceux qui ont confiance en lui. Sa dialectique l’a saisi dans un impitoyable étau. Elle l’emporte, de déduction en déduction, à partir des prémisses qu’il a posées et que la foule inconsciente acclame, jusqu’à des conclusions devant lesquelles son âme tout entière recule, épouvantée, qu’elle hait, qui sont le renversement de son œuvre, mais auxquelles il ne peut, de bonne foi, se soustraire.

Newman nous a laissé dans son Apologia, et sous une forme