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de pressentimens mystérieux, tout assombri de craintes superstitieuses, qui faillit se terminer dans le tombeau. Il y avait pris contact, non sans l’effroi naïf et les scrupules d’un enfant élevé dans un autre sanctuaire, avec la religion du monde catholique. Il en revint avec l’intuition encore vague d’une grande mission, avec le zèle d’une consécration renouvelée.

Parmi les amis à qui il révéla ces secrètes pensées, Richard Hurrell Froude exerça sur lui la plus décisive influence. Atteint déjà de la phtisie qui devait l’emporter, il avait la hâte un peu fiévreuse d’un homme dont les jours sont comptés. Nourri dans les plus pures traditions île la haute Église par son père l’archidiacre, il avait recueilli quelques parcelles de l’héritage anglo-catholique de ces deux précurseurs, Alexandre Knox et l’évêque Jebb. Pour se rapprocher de l’Eglise catholique, il avait infiniment moins de chemin à parcourir que le protestant Newman, descendant par sa mère de réfugiés huguenots et grandi dans l’atmosphère de l’évangélisme. Newman voyait encore à cette date dans Rome la grande prostituée de l’Apocalypse et dans le pape l’antéchrist. Son imagination, saturée des métaphores de la controverse protestante, persista à lui suggérer ces grotesques analogies, même quand sa raison et sa conscience l’eurent rapproché du catholicisme. Au début de son œuvre, quand il commença la publication des Tracts for the Times, il était totalement exempt de toute prédilection, même secrète, pour Rome. Tout au contraire, il combattait en elle la grande ennemie qui compromettait la vérité, toutes les fois qu’elle ne la corrompait pas, et dont les entreprises, les superfétations, les usurpations systématiques expliquaient, si elles ne les justifiaient pas, les erreurs, les mutilations, les négations du protestantisme.

Adossé à sa théorie, qu’il croyait invincible, de la conformité à l’Eglise primitive et du dépôt immuable de la foi, Newman ne redoutait nullement de jeter le défi à ces deux formidables puissances, le catholicisme et le protestantisme. Non seulement il croyait possible de tracer entre ces deux formes de l’erreur une Via média, à égale distance de l’une et de l’autre, mais à ses yeux l’Eglise anglicane était seule en possession du monopole de la vérité et de la vérité tout entière. Etrange et noble illusion d’un génie tout intellectualiste ! Newman était parti à la recherche des meilleurs moyens de défense pour l’Eglise qui lui était chère, et il avait conclu que le plus sûr, comme le plus simple, c’était de revendiquer pour elle les caractères surnaturels de l’Église en soi. Postuler pour une Eglise purement nationale, insulaire, séparée du reste du monde, soumise à l’autorité civile, toute pénétrée des doctrines et des rites de la réforme, — postuler pour elle les