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proclamation répétée de la République, à la passion de cette multitude qui ne se lassait ni d’entendre, ni de répéter le mot proscrit et libérateur, et prenait en une heure sa revanche du silence imposé dix-huit ans. Et ainsi ils la préparèrent à accepter d’eux un gouvernement.

D’autres déjà travaillaient à le faire. Dans des salles voisines, Félix Pyat, Blanqui rejoint par quelques affidés, Delescluze et les rédacteurs du Réveil, Millière et certains membres de l’Internationale, composaient de leurs noms, môles à ceux des grands proscrits, des listes que, selon la tradition, ils commençaient à jeter par les fenêtres au peuple massé sur la place. Ils prenaient l’avance, soit que, spéculant sur le hasard, ils espérassent remplir les premiers le vide de la situation et bénéficier d’un caprice populaire, soit plutôt que, par cette apparence d’activité, ils voulussent imposer aux parlementaires quelque partage de fonctions.

Ceux-ci comprirent qu’il serait imprudent de prolonger la vacance du pouvoir. Au fond de la grande salle, près le cabinet du préfet, une pièce étroite et obscure servait de poste télégraphique. C’est là que pour se concerter ils se réfugièrent, la porte gardée par quelques amis.

On tomba d’accord qu’il ne fallait faire aucune part du gouvernement aux conspirateurs de profession. Pour éconduire les prétentions dangereuses ou gênantes sans blesser les amours-propres, on établit que le gouvernement serait composé de députés. Les députés républicains étaient trop nombreux pour y trouver tous place : on décida que les députés de Paris seraient seuls appelés au pouvoir. La capitale venait de renverser l’Empire, il était naturel que la succession appartînt à ses élus. Et non moins que leur origine, leur célébrité les désignait, car l’éloquence est dans les oppositions parlementaires la seule mesure du mérite, et la capitale avait nommé les orateurs les plus renommés de leur parti. Ces raisons, l’urgence aidant, parurent assez bonnes aux représentans de la province pour qu’ils ne disputassent pas la suprématie à leurs collègues parisiens.

Ensemble ils revinrent dans la grande salle et firent connaître le résultat de leur délibération. La foule répondit par des applaudissemens, le petit groupe des révolutionnaires par des murmures, et Félix Pyat réclama nettement place pour ses amis et pour lui-même. Il trouva peu d’écho. Gambetta, qui voyait l’instant décisif et favorable, écrasa sous une riposte énergique la prétention avec l’homme, et la foule, qui aime les beaux coups, d’épée ou de langue, se trouva définitivement conquise. A travers elle un nouveau venu, se frayant passage, parvint jusqu’au groupe des