M. Bourgeois a couru chez M. Brisson, et l’a prié de convoquer l’assemblée. Les choses se sont passées conformément à ce programme, c’est-à-dire d’une manière assez peu correcte. Sans doute M. Brisson avait le droit, peut-être même le devoir de convoquer la Chambre ; mais ce n’était pas à un ministère qui virtuellement n’existait plus à lui demander de le faire. S’il avait agi spontanément, il n’y aurait eu rien à dire : on aurait approuvé ou contesté l’opportunité de sa décision, mais on l’aurait trouvée légitime. Le malheur est que M. Brisson n’a pas agi spontanément : il a été conseillé, dirigé, poussé par M. Bourgeois. Que voulait celui-ci ? Il voulait, comme l’événement l’a montré, remettre sa démission beaucoup plus à la Chambre qu’au Président de la République. C’est la première fois qu’un fait pareil se produit. Il ne sert à rien de dire que, dans ses traits essentiels, la situation était sans précédens, car cela n’est pas exact. Il est arrivé à plusieurs reprises déjà qu’un ministère qui avait encore la majorité à la Chambre ait donné sa démission devant un vote contraire du Sénat. M. Tirard, pour ne citer que lui, n’a pas hésité à le faire. La Chambre, alors, était en session : il n’était pas nécessaire de la rappeler de province ; pourtant M. Tirard n’a pas eu l’idée d’aller lui rendre des comptes qu’il ne devait qu’au Président de la République. En sortant du Luxembourg, il s’est rendu à l’Elysée sans passer par le Palais-Bourbon. M. Bourgeois a trouvé cela trop modeste. Après avoir essayé de supprimer le Sénat au profit de la Chambre, il a essayé de lui sacrifier aussi quelque chose des prérogatives du Président. Il semble que la Chambre aurait dû lui savoir gré de tant d’attentions, et c’est évidemment ce qu’il espérait ; mais il s’est trompé. Rien n’égale la froideur avec laquelle il a été accueilli. Il n’avait pas, bien entendu, à attendre des applaudissemens de ses adversaires : quant à ses amis, la plupart d’entre eux étaient cruellement déçus, inquiets, désorientés ; les plus ardens, radicaux avancés et socialistes, l’accusaient d’une coupable défaillance ; quelques-uns même ont parlé de trahison. Lorsque M. Bourgeois est descendu de la tribune et que, suivi de ses collègues, il a quitté la salle des séances, aucune manifestation de regret n’a accompagné sa retraite, qui ressemblait à une fuite. Il était difficile de finir plus lamentablement.
La Chambre, alors, est restée livrée à ses propres inspirations. Son devoir, en l’absence de tout gouvernement, aurait été de lever sa séance, et de charger son président de la convoquer de nouveau lorsqu’il y en aurait un. Mais les radicaux et les socialistes n’ont pas laissé les choses se passer ainsi. S’ils ont tout de suite oublié M. Bourgeois, ils ne se sont pas oubliés eux-mêmes : ils n’ont eu d’autre pensée que de se livrer à une manifestation quelconque, en vue d’exercer une pression énergique sur M. le Président de la République. M. Ricard, député radical de la Côte-d’Or, qu’il ne faut pas confondre avec l’ancien