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ou mauvaise, voilà ce qui les touche. Ils échappent aux passions et aux cabales pour n’obéir qu’au bon sens pratique si heureusement répandu dans le pays. La brièveté de leurs sessions ne leur permet pas d’y compromettre la rectitude de leur jugement individuel. Aussi lorsqu’on leur demande une consultation, s’empressent-ils de la donner nette et claire, sans aucune de ces circonlocutions tortueuses, de ces sous-entendus obscurs qu’affectent trop souvent les motions parlementaires. Nous venons d’en avoir une preuve de plus.

Où l’on voit à quel point le ministère se faisait des illusions, c’est que, bien loin de se dérober à cette consultation des conseils généraux, il a paru au contraire la désirer, la provoquer. Des instructions dans ce sens ont été envoyées aux préfets. Ils auraient pu s’opposer à ce que les assemblées départementales émissent des vœux sur un objet qui, sans être politique par lui-même, l’était devenu à travers les discussions de la Chambre et les polémiques de la presse. Inévitablement, la condamnation de la réforme devait rejaillir sur le cabinet. Mais les radicaux, à force de le répéter, avaient fini par croire qu’ils avaient le pays avec eux. Ils s’étaient étourdis eux-mêmes du bruit qu’ils faisaient à Paris et que leurs amis répercutaient en province, et ils le confondaient complaisamment avec la voix même de la nation. Le ministère est donc allé spontanément au-devant d’un échec qui, pour nous, n’était pas douteux. Presque tous les conseils généraux se sont prononcés sur la question qui leur était soumise. Une soixantaine d’entre eux ont repoussé l’impôt sur le revenu avec ses caractères essentiels, qui sont la déclaration dite globale faite par le contribuable, ou la taxation d’office. Les mots de déclaration globale et de taxation arbitraire ont servi partout à caractériser le genre d’impôt dont on ne voulait pas. Il va sans dire que les conseils départementaux ne sont pas ennemis des réformes ; ils en demandent au contraire ; mais ils repoussent celle que MM. Bourgeois et Doumer ont imaginée. Ils acceptent l’impôt sur les revenus, qui n’est que le développement de notre système actuel ; ils expriment le désir que tous les revenus soient taxés, non pas suivant une règle uniforme, mais suivant la nature particulière de chacun d’entre eux ; ils trouvent généralement que la terre est trop chargée par rapport aux valeurs mobilières ; enfin ils indiquent dans quelle voie ils voudraient voiries pouvoirs publics s’engager, afin de les détourner plus sûrement de celle qu’ils condamnent. Un très petit nombre de conseils départementaux, cinq ou six tout au plus, n’ont émis aucune opinion. Dans tous les autres la question a été agitée, et parfois avec beaucoup de chaleur. Lors même que les modérés n’avaient pas la majorité, ils n’ont pas hésité à livrer bataille, ne fût-ce que pour saisir l’opinion et pour se compter. C’est ainsi qu’à Toulouse M. Pierre de Rémusat a présenté contre l’impôt sur le revenu un vœu très bien rédigé qui a obtenu 10 voix contre 19. Nous citons ces chiffres pour