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elle s’est livrée a été non seulement très brillante, mais très approfondie ; le parti modéré y a repris conscience de lui-même, et y a reformé ses cadres. Mais quand il a fallu conclure, on sait ce qu’a été le vote. Tant de lumière répandue du haut de la tribune a abouti à une équivoque. La majorité s’est ralliée à l’impôt sur le revenu, parce qu’elle n’y voyait qu’un principe académique, bien qu’elle condamnât tous les moyens possibles de l’appliquer. On lui a demandé de permettre au gouvernement et à la commission du budget de chercher ensemble d’autres moyens encore, et elle y a consenti, sachant d’ailleurs parfaitement qu’on n’en trouverait pas. Cela vient de ce que la Chambre est organisée en partis politiques, et que des considérations toutes politiques pèsent sur ses déterminations et les dénaturent. Il y a une grande différence à ce point de vue entre le député et le conseiller général. Combien de fois n’avons-nous pas eu l’occasion de dire que le premier vit dans une atmosphère artificielle, où peu à peu les objets se déforment à ses yeux, et prennent les uns à l’égard des autres des rapports tout à fait imprévus. Il est rare qu’un député vote avec une parfaite indépendance d’esprit. Il appartient à un groupe, à un sous-groupe. Il est pour ou contre le ministère ; il veut le renverser ou le conserver. Il a pris l’habitude de voter avec tel de ses collègues dont il suit volontiers l’exemple, et auquel, pour plus de sûreté, il a confié sa boîte à bulletins. La longueur des sessions, en l’arrachant à la vie de province, à ses affaires, à ses électeurs, l’enferme de plus en plus dans les couloirs de la Chambre dont les murs bornent sa vue. Si on ajoute à tout cela les entraînemens de séance, les émotions éphémères mais violentes qui se produisent tout d’un coup, le désordre même où les plus expérimentés ont quelquefois de la peine à conserver leur sang-froid, on s’expliquera le désaccord qui existe trop souvent entre les assemblées politiques et le pays qu’elles sont censées représenter. Prenez au contraire le conseiller général. Il vit dans les champs ou dans les petites villes. C’est l’agriculteur qui passe sa journée avec ses fermiers. C’est le médecin qui entre dans toutes les maisons et connaît toutes les familles. C’est l’industriel toujours mêlé à ses ouvriers. C’est le notaire qui discute avec ses cliens leurs intérêts les plus secrets. Ceux-là, certes, vivent dans le monde réel. Ils sont continuellement aux prises avec les choses mêmes. S’ils appartiennent à un parti politique, du moins ils ignorent les groupes parlementaires. Lorsqu’un grand objet d’intérêt public, tel que l’impôt sur le revenu, se présente à leur esprit, ils se demandent tout de suite quel sera l’effet ou l’incidence de cet impôt sur eux et autour d’eux. Ils ne vont pas prendre des indications à ce sujet chez le ministre des finances, en lui demandant par la même occasion une recette buraliste pour un électeur influent. Ils se préoccupent très peu de savoir si le cabinet a attaché ou non son sort au succès de la prétendue réforme. Celle-ci est-elle bonne