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que la débâcle du général Boulanger a commencé par un échec éclatant éprouvé aux élections des conseils départementaux. Le général Boulanger était alors dans toute sa gloire ; une redoutable faction s’était i formée autour de lui, et elle semblait sur le point de le porter au pouvoir ; tous les obstacles s’aplanissaient devant ses pas. Ses amis, confians dans le mouvement d’opinion qui s’accentuait chaque jour en sa faveur, se sont réjouis d’avoir à exploiter des élections aux conseils généraux. Ils ne doutaient pas du succès sur ce terrain particulier après en avoir obtenu de si nombreux sur tous les autres. On sait ce qui est arrivé. Le général Boulanger s’est présenté dans un grand nombre de cantons, et il a échoué dans presque tous. Il a bien fallu reconnaître que sa popularité, si encombrante et si bruyante qu’elle fût, avait pourtant des limites, et n’avait pas encore pénétré dans toutes les parties de la population. Il restait quelque part des élémens de résistance. Aussitôt, ce que cette popularité avait de factice est apparu à tous les yeux. La légende s’est arrêtée en plein essor. La désillusion est entrée dans les esprits. Le bon sens a repris ses droits. Sans contester, alors aussi bien qu’aujourd’hui, la très grande part que le Sénat a prise à la démolition de l’idole, il faut bien reconnaître que l’œuvre de salut public avait été heureusement commencée par les électeurs des assemblées départementales. Ces électeurs sont pourtant les électeurs de droit commun, et si on les additionne ils s’appellent le suffrage universel ; mais le fait même d’opérer dans une circonscription plus étroite est une garantie pour eux contre les entraînemens qu’ils subissent quelquefois dans de plus grandes. Ils ont eu à choisir entre un homme qu’ils connaissaient tous, avec lequel ils étaient en rapports quotidiens, qui était tout imprégné de leur esprit, et d’autre part un étranger qu’ils n’avaient jamais vu, sinon sur des images d’Épinal. Ils ont préféré au général Boulanger l’agriculteur qui vivait au milieu d’eux, le médecin de campagne, l’industriel, l’homme d’affaires dont ils avaient en quelque sorte l’habitude, parce qu’ils voyaient en lui un représentant plus exact et plus fidèle. Et c’est là que nous voulons en venir. Les conseils généraux ne font pas de politique, ou du moins ils ne doivent en faire que très exceptionnellement ; on sait qu’une loi de l’Assemblée nationale, la loi Tréveneuc, les appelle à remplir des fonctions très importantes si les Chambres venaient à en être elles-mêmes empêchées. Mais ce sont là des cas exceptionnels. En temps ordinaire, ils ne font que de l’administration départementale. Ce n’est pas un paradoxe de soutenir que, précisément pour tous ces motifs, ils sont quelquefois mieux en situation que les assemblées politiques vivant à Paris de dégager et d’exprimer le sentiment vrai du pays.

Voici, par exemple, un grand problème qui se pose, celui de l’impôt sur le revenu. La Chambre actuelle a montré qu’elle était parfaitement capable de le discuter sous toutes ses faces ; la discussion à laquelle