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correspondance avec ses plus proches, même dans son journal intime. Il ne cite brièvement cette date que dans la liste des dispensations miséricordieuses par lesquelles Dieu l’a conduit jusqu’à lui. Plus tard d’autres raisons vinrent sceller encore plus hermétiquement son silence. Prêtre catholique, chef d’un clergé voué au célibat, il ne lui convenait pas de réveiller ce souvenir.

D’autres s’en chargèrent pour lui. Pendant les luttes véhémentes, parfois envenimées, qu’il eut à soutenir contre certaines factions au soin du catholicisme, un vieux prêtre, qui détestait le nouveau régime, avait coutume de célébrer comme un jour de deuil l’anniversaire de la mort de Mme Manning, et quand on lui en demandait la raison, il répondait : « C’est la date du plus rude coup que Dieu, en notre siècle, ait porté à l’Eglise dans les îles Britanniques. » Même marié, cependant, Manning ne s’était pas endormi dans le bien-être. A côté d’une activité paroissiale infatigable, il ne tarda pas à prendre position sur le terrain de la grande lutte qui absorbait tous les esprits.


II

C’était l’heure solennelle où le mouvement d’Oxford éclatait avec un bruit de guerre. L’Eglise établie d’Angleterre, de par les étranges anomalies de ses origines, avait toujours recelé en elle les germes de deux systèmes contradictoires : du catholicisme et du protestantisme. La lutte de ces deux élémens opposés a troublé toute la première moitié du XVIIe siècle. L’archevêque Laud fut un anglo-catholique avant le temps. Il contracta une funeste alliance avec cette fatale dynastie des Stuarts, et il expia sur l’échafaud moins encore son hostilité contre le puritanisme triomphant que sa complicité avec Strafford et Charles Ier dans leur essai avorté de gouvernement absolu, sans parlement. La théologie anglicane, avec Hooker, avec Bull, avec ces non-jureurs qui eurent le tort d’ériger en dogme la doctrine purement humaine et politique de la légitimité et de la non-résistance, n’en continua pas moins à répudier le protestantisme et ses inspirations. Toutefois au XVIIIe siècle, avec la victoire définitive de la révolution de 1688 et l’établissement de la maison de Hanovre, c’est l’avènement de toutes les puissances de mort spirituelle, de l’Erastianisme ou de la subordination absolue de l’Eglise à l’Etat ; du matérialisme pratique, du formalisme, du rationalisme ; de ce christianisme honteux qui a peur de son ombre, qui ne redoute et ne proscrit rien tant que l’enthousiasme, qui se réduit à une morale purement civile et garde un lâche silence sur le dogme révélé. C’était proprement le sommeil de la mort.