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manœuvres diplomatiques et belliqueuses de la Russie, et par l’ordre de l’empereur, le duc de Cadore signifia au duc de Vicence qu’il était mal instruit, qu’on lui faisait mystère de beaucoup de choses. Ce fut sans doute une mortification pour cet homme droit qui n’aimait pas à soupçonner le mal, mais il ne devait pas tarder à prendre sa revanche, en prouvant qu’il s’entendait mieux à lire dans l’avenir que ceux qui lui reprochaient ses ignorances et son aveuglement.

Les espérances d’Alexandre avaient été déçues ; à Varsovie comme à Vienne, ses négociations secrètes avaient échoué. Que les hommes savent peu ce qui leur convient, et que leurs souhaits sont imprudens ! Sa destinée qu’il accusait, et qu’il aurait dû bénir, condamnait le tsar à suspendre l’exécution de son audacieux projet ; il devait renoncer malgré lui à cette guerre offensive qui l’attirait, et qui selon toute apparence lui eût été funeste. Depuis longtemps déjà des Allemands, comme Wolzogeri, des Russes, comme Barclay de Tolly, avaient insinué que pour avoir raison des Français et de ce dieu de la guerre qui les commandait, il fallait adopter une tactique à la Fabius. « Si je commandais en chef, avait dit Barclay, au lendemain d’Eylau, j’éviterais une bataille décisive et je me retirerais, de sorte que les Français, au lieu de trouver la victoire, finiraient par trouver un second Pultawa. » Un grand événement venait d’affermir dans leur conviction les partisans de la défensive. Wellesley et ses Anglais s’étaient retirés devant Masséna, dont l’attaque était venue se briser contre les fameuses lignes de Torres-Vedras. La guerre de Portugal inspira à un Allemand au service de la Russie, le général Pfuhl, stratégiste de cabinet, un plan de campagne qui consistait à attirer les Français aussi loin que possible de leur base d’opération, et à les attendre dans des lignes de défense fortement établies, entre le Dnieper et la Dwina. Comme le remarque M. Vandal, ce n’était pas encore le système de la retraite à outrance, du recul continu ; mais c’est déjà quelque chose que d’être à demi sage. Alexandre se réconciliait peu à peu avec le plan de Pfuhl. « Dès la fin de mai, il cédait visiblement à l’instinct sauveur qui lui montrait la Russie inexpugnable chez elle et hors d’atteinte. »

Cependant il se calmait par degrés. Voyant la guerre de plus près, il sentait plus vivement les avantages de la paix. Il tenait du moins à prolonger la trêve, à ne pas rompre tout commerce avec la France. Caulaincourt avait obtenu son rappel ; on avait désigné pour son remplaçant le général comte de Lauriston. À plusieurs reprises, Alexandre reçut ou ensemble ou séparément les deux ambassadeurs, celui qui entrait en charge et celui qui faisait ses préparatifs de départ. À l’un et à l’autre il disait les mêmes choses. Il leur déclarait qu’il n’avait aucune intention agressive, que ce n’était pas lui qui ouvrirait la campagne, mais que, si on l’attaquait, il se défendrait