plus admirables machines ne remplaceront jamais les intelligences et que ce ne sont pas des facteurs négligeables que la considération acquise, le caractère, l’habileté, l’habitude des affaires, les amitiés, les commerces d’esprit et d’idées, la connaissance de l’Europe et des hommes. Il aurait pu ajouter que le vrai diplomate n’est pas seulement un informateur et un négociateur, qu’il ne tient qu’à lui de devenir pour son gouvernement ou son souverain le plus précieux des conseillers, et on aura beau perfectionner les phonographes, ils ne donneront jamais de conseils. Mais il faut avouer que les diplomates qui ont assez d’autorité, de courage, pour oser dire sans détour les vérités qui déplaisent et qui sauvent, sont des hommes rares. C’est un de ces ambassadeurs clairvoyans et intrépides que M. Albert Vandal a mis en lumière dans le troisième et dernier volume de sa belle histoire de l’alliance russe sous le premier Empire. A l’aide de documens inédits, il a montré tout ce que valait Caulaincourt et rendu une éclatante justice à la droiture de son esprit, à la noblesse de son caractère. Il a prouvé par des témoignages irréfragables que si ce sage avait été écouté, Napoléon ne se serait pas embarqué dans la plus redoutable des aventures et n’aurait pas commis la plus grande faute de son règne, celle qui l’a perdu[1].
Caulaincourt, qui reçut en 1808 le titre de duc de Vicence, occupait depuis 1807 l’ambassade de Russie, où il avait succédé à Savary. Dans sa correspondance avec la cour de Sardaigne durant sa mission auprès d’Alexandre, Joseph de Maistre, dont ses panégyristes voudraient faire un grand politique, et qui n’était en matière de diplomatie qu’un éloquent idéologue, doublé de la plus spirituelle des commères, a fort maltraité le duc de Vicence. Il lui en voulait de donner des soupers magnifiques, « où il y avait sept poires de trois cents francs chacune. » Il le considérait, malgré ses poires, comme un homme de mauvaise compagnie. Il l’accusait d’avoir blâmé en termes très cavaliers la visite que le roi et la reine de Prusse avaient faite à Pétersbourg en décembre 1807, et d’avoir dit sans façon chez la princesse Dolgorouky : « Il n’y a point de mystère à ce voyage ; la reine de Prusse vient coucher avec l’empereur. » Il avait résumé en ces mots son impression : « Je contemple beaucoup ici l’ambassade française, qui n’a rien de merveilleux. Le spectacle qui m’a continuellement frappé depuis le commencement de la Révolution, c’est la médiocrité des personnes par qui de si grandes choses s’exécutent. Dans ce moment, il y a un homme véritablement extraordinaire qui mène tout, mais s’il disparaissait, vous verriez crouler l’édifice en un clin d’œil. Je m’amuse à considérer le général Caulaincourt. Il est bien né, et il s’en targue. Il représente
- ↑ Napoléon el Alexandre Ier. IIIe volume : la Rupture ; 1896, librairie Plon.