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Un chien vaguement aboie…
Elle monte chez le Mort
Que déjà travaille et mord
Le ver éclos de sa proie.

Puis, sous le pâle reflet
Qui traverse le volet
Et qui fait un peu moins laid
Le pauvre cadavre blême,
La Plieuse sans dégoût
Lave, arrange, drape, coud
Son habit pour tous le même.

« — Plieuse, va doucement,
Que j’aie encore un moment
Mon blondin au front charmant !…
Voici de la toile fine :
Fais-lui son nid bien douillet,
Afin que s’il s’éveillait
Il se crût sur ma poitrine. »

« — Plieuse, c’est mon amant
Dont tu couds le vêtement ;
Mets-y pour tout ornement
La marguerite flétrie
Qu’à mon corsage il piqua
Le premier soir qu’il risqua
Son aveu dans la prairie… »

« — Plieuse, c’est mon époux ;
Il fut fort, vaillant et doux,
Mais une mauvaise toux
L’a ployé comme une gerbe ;
Mettons-lui des habits lourds,
De la laine et du velours :
Il doit faire froid sous l’herbe !… »

« — Plieuse, c’est mon orgueil,
Que tu couches au cercueil,
Et je mourrais de mon deuil
Si celle qui m’est ravie,
En me laissant quatre enfans,
Ne m’eût dit : « Je te défends
De leur dérober ta vie ! »