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chez Manning. Il était lié avec une famille de grands banquiers de la Cité, les Bevan. Miss Bevan était une âme toute religieuse, profondément imprégnée de la piété et de la théologie de cette école de l’évangélisme dont j’aurai à caractériser l’influence. Elle lut la Bible, elle pria avec le jeune homme, bref, elle fut l’instrument dont Dieu se servit pour toucher ce cœur et conquérir cette âme. Ce ne fut qu’un commencement ; nous verrons que Manning faisait dater sa vraie et complète conversion de sa maladie de 1847 ; mais le germe n’en était pas moins déposé.

Il est intéressant de noter au passage que les deux chefs de la restauration catholique anglaise ont dû l’un et l’autre, — et l’ont proclamé l’un comme l’autre, — leur naissance à la vie spirituelle à l’évangélisme. Newman fut pendant des années un adhérent zélé non seulement de l’école religieuse, mais du parti ecclésiastique de ce nom. Il fonda et dirigea quelque temps à Oxford l’une des institutions spécifiques de cette forme du protestantisme, un comité auxiliaire de la Société biblique. Lui-même, dans son Apologia, où il a pesé chaque terme, a déclaré qu’il devait en quelque sorte son âme, — le mot est fort, — au commentaire biblique archiprotestant de Scott. Manning demeura, lui aussi, même après son adhésion publique au mouvement d’Oxford, en communion avec quelques-uns des principaux membres du parti évangélique. Il y a là un fait important. Ces deux cardinaux, ces deux athlètes du catholicisme, n’ont pas seulement débuté par le protestantisme, mais par ce qu’il y a de plus protestant dans le protestantisme. Ils en ont conservé tous deux, leur témoignage en fait foi, un souvenir, plus encore, une trace indélébile. Assurément, lorsqu’ils se soumirent à l’Eglise, et par cet acte même, ils répudièrent tout ce qui constituait à leurs yeux les erreurs et le péché du schisme et de l’hérésie : mais l’expérience du passé ne leur en resta pas moins. Ils savaient, ils savaient personnellement tout ce que peut receler de bon, d’excellent, de vrai, un système faux. Ils savaient, ils savaient par eux-mêmes que même dans le protestantisme militant, intransigeant, pour peu qu’il soit fidèle à l’Evangile et docile à la révélation, il y a le germe de toutes les vérités, y compris celles qu’il rejette et qui forment le couronnement du catholicisme. Pour eux, certaines méthodes de polémique auxquelles s’abaisse trop souvent la controverse sur le continent, étaient tout à fait impossibles : ils n’auraient pu y recourir sans se souffleter eux-mêmes et calomnier leur propre passé.

À cette date, toutefois, Manning n’en était point encore là. Il venait de recevoir l’étincelle qui devait allumer en lui, pour ne plus s’éteindre, le feu sacré de l’esprit. La ruine de son père, avec tout ce qu’elle entraînait pour lui, fut le premier appel à une