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ils s’y trouvent en quantités notables ; au mois de décembre 1893, j’ai constaté que 100 grammes de racines sèches renfermaient 7gr, 4 de nitrate de potasse, les tiges en contenaient beaucoup moins. Ces nitrates ne persistent pas indéfiniment en nature, car la plante les utilise à la formation de ses matières albuminoïdes ; elle accumule ainsi pendant la mauvaise saison les matériaux qu’elle mettra en œuvre au cours de son développement.

Les nitrates formés spontanément dans le sol et saisis par les racines ne conduiraient qu’aux faibles récoltes dont se contentaient nos pères ; pour atteindre les grands rendemens que nous cherchons, il faut placer le blé sur des terres enrichies par les engrais.

Quelle est leur efficacité et qu’en peut-on attendre ? Ce sont là des points importans à élucider, et nous pourrons prendre pour guide dans cette étude la magistrale expérience exécutée à Rothamsted par nos correspondans de l’Institut de France, sir J. B. Lawes et sir H. Gilbert.

Ils ont établi en 1844 la culture du blé sur un des champs du domaine, et depuis cette époque, chaque année, cette même pièce porte du blé. Les indications qui découlent de cette culture anormale sont comparées à celles que fournit un champ soumis à l’assolement quadriennal du Norfolk comprenant successivement : navets, orge, trèfle ou fèves et blé en quatrième année[1]. Le champ de culture continue du blé est divisé en plusieurs parcelles d’assez grande étendue, qui chaque année reçoivent les mêmes engrais : leur influence spécifique apparaît ainsi avec une admirable netteté.

Deux parcelles sont absolument privées d’engrais, le blé y vit des faibles ressources qu’il trouve dans le sol, et malgré ce maigre régime, il donne chaque année une petite récolte ; son abondance varie avec les conditions plus ou moins favorables de la saison ; une des plus mauvaises fut celle de 1879 : on obtint seulement 4hect, 27 à l’hectare ; une des meilleures se produisit en 1863 : on récolta 15hec,5.

Ce n’est que vingt ans après le commencement de l’expérience que l’épuisement du sol, cultivé sans engrais devint sensible ; pendant les dix premières années (1844-1853), on obtint en moyenne 14hect, 17, et 14hect, 85 pendant les dix années suivantes ; le rendement de cette terre d’une fertilité moyenne, mais située sous le climat favorable de l’Angleterre, fut, pendant ces vingt ans de culture continue, analogue à celui qu’en moyenne nous obtenions en France à cette époque. L’épuisement devient

  1. Les résultats de cette comparaison sont insérés dans le Journal of the Roy. Agr. Society pour 1894. M. Demoussy en a donné une traduction abrégée dans le tome XXI des Annales agronomiques.